Critique : Rapture

Dans un village du Meghalaya, au nord-est de l’Inde, plusieurs jeunes hommes disparaissent mystérieusement durant la nuit. Alors que les anciens accusent de kidnapping les étrangers de passage, le prédicateur y voit les prémices d’une apocalypse de 40 jours et 40 nuits qui plongera les habitants du village dans l’obscurité. Vu à travers les yeux de Kasan, un garçon de dix ans souffrant de cécité nocturne, les forêts alentour n’ont jamais paru aussi terrifiantes.

Rapture
Inde, 2023
De Dominic Sangma

Durée : 2h07

Sortie : 15/05/2024

Note :

FORTE EST SON EMPRISE, LA NUIT

Quand on les voit pour la première fois, les habitants du village où se déroule l’action de Rapture n’ont pas l’air terrifiés du tout. La première scène du film nous les montre explorant en groupe joyeux la forêt environnante pour une cueillette collective où même les enfants participent avec plaisir. Précision de taille : cette scène a pourtant lieu en pleine nuit noire. Éclairé uniquement à l’aide de bougies et de lucioles (peut-on citer beaucoup de scènes de l’Histoire du cinéma éclairées à base de lucioles ?), cet épisode bucolique paraitrait presque se dérouler dans le village des Schtroumpfs.

Ce que la suite nous révèle progressivement, c’est que le mode de vie nocturne de ce village provient d’une prophétie annonçant l’arrivée prochaine d’une nuit sans fin où les enfants seront tous enlevés. Or cette menace d’un autre âge ne sort pas de la bouche du shaman mais du prêtre catholique local. Ces villageois ne sont pas plus naïfs qu’ailleurs, et le scénario nuancé prend bien soin de montrer qu’ils ne sont vraiment dupes ni des rituels ancestraux ni des prédicateurs grippe-sous. Mais même dans ce coin isolé du nord-est de l’Inde, la peur de l’autre est une mauvaise herbe tenace. Elle peut prendre bien des visages, du plus concret (des kidnappeurs d’enfants) au plus abstrait (le monde des ténèbres).

Rapture, le titre international du long métrage, traduit d’ailleurs cette ambivalence, puisque le mot anglais signifie aussi bien enlèvement qu’extase religieuse. Face à l’étranger invisible et peut-être même inexistant, les villageois sont plongés sans le réaliser dans une sorte de fantasme paranoïaque de persécution, redoutant la catastrophe tout en espérant voir leurs craintes validées. Cette métaphore politique très contemporaine, qui fait prendre des simples têtes de vaches pour des démons, le cinéaste indien Dominic Sangma nous la raconte en gardant un pied dans la fable et l’autre dans un portrait de groupe réaliste.

Si Rapture possède plus d’un détail piquant au moment de dépeindre la mauvais foi absurde de certains personnages, le long métrage demeure majoritairement d’un grand sérieux. Une intrigante séquence, où un enfant croit être parvenu au royaume des morts, vient entrouvrir une porte onirique qu’on aurait aimé voir plus béante encore. En effet, la sage mise en image ne vient pas toujours traduire autant qu’elle le pourrait la folie progressive qui gagne ce village, mais ce qui participe beaucoup à l’atmosphère du film, c’est la photo qui vient apporter des couleurs et un relief chaleureux à cette nuit tropicale, rendant ces ténèbres finalement très accueillantes.

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par Gregory Coutaut

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