Festival des 3 Continents | Critique : La Mélancolie

Watako avait trouvé dans sa liaison amoureuse et complice avec Kimura, un collègue de travail, un recours apaisant à l’étiolement mortifère mais sans heurts de sa vie conjugale. Le décès accidentel de ce dernier la ramène brutalement aux impasses de sa relation maritale et à un chagrin qu’elle doit à la fois dissimuler et affronter. Tout un monde à refaire, des gestes à repenser, de souvenirs encore proches à ordonner sans vaciller.

La Mélancolie
Japon, 2023
De Takuya Kato

Durée : 1h24

Sortie : 2024

Note :

LES LARMES AMÈRES DE WATAKO

Quand Watako part faire du camping en dehors de la ville, ce n’est pas sous une pauvre tente à monter péniblement soi-même mais dans un bungalow douillet où une baie vitrée permet d’admirer la nature automnale aux alentours. Watako a beau se trouver alors presque littéralement dans une maison en verre où elle n’aurait rien à cacher aux regards extérieurs, on ne peut pas dire que la transparence règne dans sa vie quotidienne. A l’image de ce bungalow et des autres décors de La Mélancolie (tous filmés avec une belle élégance), ses journées ont l’air relativement confortables, faites de petits voyages et de rendez-vous au café. D’où vient alors le spleen qui s’en dégage ?

Dans la scène d’ouverture de La Mélancolie (anciennement Fly On), Watako est seule à l’image. Hors-champ, un homme s’adresse à elle intimement sans que l’on puisse voir immédiatement de qui il s’agit. Watako a un mari, mais la voix en question appartient en réalité à l’amant qu’elle fréquente en cachette. Lorsque ce dernière décède soudainement lors d’une de leurs escapades, elle réalise qu’elle va devoir cacher son deuil à tout son entourage pour sauver les apparences, mais peut-on réellement enfouir sans conséquences de tels sentiments sous la surface  ?

Le récit des larmes inexprimables de Watako est certes tragique, mais La Mélancolie ne cherche pas à être un flamboyant mélo, et ce précisément car les affects mêmes les plus forts y sont gardés secrets. Si le film demeure touchant, c’est que la totale retenue que s’impose l’héroïne donne justement à l’ensemble une amertume à la fois élégante et incisive. Le sujet du film dépasse en effet celui du deuil ou de l’adultère : la mélancolie fait le portrait d’une société japonaise où le respect excessif des codes de bienséance peut finir par cadenasser les cœurs, une société parfois solitaire où il n’existe aucun endroit où assumer les états d’âme qui débordent.

Pour son second long métrage, le cinéaste et dramaturge Takuya Kato (lire notre entretien) réunit un casting de visages familiers du cinéma d’auteur japonais. Dans le rôle principal, Mugi Kadowaki (Aristocrats) fait merveille en exprimant des tourments refoulés, et on a plaisir à retrouver autour d’elle Shota Sometani (Himizu), Haru Kuroki (La Maison au toit rouge) ou encore Kanji Furutachi (Hospitalité). Chacun des personnages possède ses propres difficultés au moment de trouver les mots et le ton justes, et c’est ce décalage entre ce qu’ils vivent intérieurement et ce qu’ils s’autorisent à exprimer aux autres qui donne au film son poignant relief. Un peu comme dans une version mélancolique du cinéma de Rohmer ou de Hong Sangsoo.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article