Critique : Los Delincuentes

Román et Morán, deux modestes employés de banque de Buenos Aires, sont piégés par la routine. Morán met en oeuvre un projet fou : voler au coffre une somme équivalente à leurs vies de salaires. Désormais délinquants, leurs destins sont liés. Au gré de leur cavale et des rencontres, chacun à sa manière emprunte une voie nouvelle vers la liberté.

Los Delincuentes
Argentine, 2023
De Rodrigo Moreno

Durée : 3h10

Sortie : 27/03/2024

Note :

L’ÉCOLE DES LOISIRS

« C’était mieux avant, on avait davantage de liberté ». Cette phrase, prononcée par un collègue âgé lors d’une pause clope, fait lever les yeux au ciel des protagonistes. Pris à parti et obligé d’admettre la vacuité d’une telle formule, le vieux collègue explique que pour lui, la liberté c’est avant tout le plaisir de pouvoir fumer où il veut, quand il veut et tant pis pour les autres. Ce passage n’est qu’une courte anecdote croisée lors du voyage au long cours de Los Delincuentes, mais elle vient illustrer avec ironie un certain casse-tête : la liberté, qu’est-ce que c’est ? Où commence celle des uns et s’arrête celles des autres ? Le programme est vaste, mais le film ressemble moins à une épreuve de philo qu’à une longue récréation en liberté.

Qui sont les délinquants auxquels se réfère le titre du film ? Les collègues banquiers Román et Morán fomentent ensemble une arnaque parfaite et ridicule à la fois : voler à leur employeur l’équivalent d’une vie entière de salaire, cacher l’argent en un lieu secret puis attendre plusieurs années avant d’aller le récupérer. A leur plus grand étonnamment et au nôtre, la première phase de leur braquage amateur se déroule sans anicroche, mais cela n’empêche pas la suite du film d’être porté par un vent d’imprévisibilité poétique. Les deux compères pensent avoir chacun trouvé la clé des champs et de fait, si la première partie de Los Delincuentes se déroule dans des bureaux anxiogènes aux couleurs moches, ceux-ci laissent progressivement place aux immenses paysages ensoleillés d’une campagne bucolique sans patron ni comptes à rendre.

La caméra de l’Argentin Rodrigo Moreno (lire notre entretien) prend peu à peu la poudre d’escampette au sens propre et figuré. Ses protagonistes croient avoir compris comment acquérir la liberté dont ils rêvent, mais c’est le cinéaste qui nous offre la plus stimulante leçon sur le sujet. Los Delincuentes débute en terrain connu, celui d’une comédie de bureau à l’humour absurde. Tous les repères temporels, du téléphone aux vêtements, nous indiquent sans hésitation que l’on se trouve dans les années 70, mais cette certitude s’effrite au fil du film (ne croise-t-on pas une affiche de film récent dans la rue ?). Le scénario se libère progressivement des contraintes narratives, cessant de faire des blagues, puis cessant presque entièrement de faire récit pour se laisser aller à une sorte de contemplation émerveillée.

« Est-ce une chanson, une improvisation ou un jeu ? » demande l’un des personnages en parlant d’une comptine lui revenant vaguement en mémoire. La question pourrait se poser telle quelle face à l’ambitieux scénario de Los Delincuentes, qui n’obéit qu’à sa propre logique rêveuse. L’ultime acte du film vient peut-être un trop surligner la magie qui était joliment sous-entendue jusqu’ici, rajoutant une couche méta un peu superflue à un ensemble déjà long. Cela n’empêche pas le résultat de briller d’originalité. Los Delincuentes est un nouveau succès du cinéma argentin, à classer aux cotés de Trenque Lauquen et des films d’Alejo Moguillansky.

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par Gregory Coutaut

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