Festival National du Film d’Animation | Entretien avec Mathilde Bédouet

Été 96 de la Française Mathilde Bédouet est le récit initiatique d’un jeune garçon qui, en famille, va passer un 15 août pas tout à fait comme les autres sur une île bretonne. Le charmant trait crayonné est mêlé à une tension sous-jacente dans ce beau film lauréat aux César et sélectionné au Festival National du Film d’Animation de RennesMathilde Bedouet est notre invitée.


Quel a été le point de départ d’Été 96 ?

C’est en découvrant des K7 dans la cave de mon père que j’ai eu envie de faire ce film. Sur l’une d’elles était écrit : Carantec- Ile Callot. Été 1996, j’avais 7 ans. En visionnant celles-ci, je retrouve des souvenirs oubliés, découvre avec nostalgie et excitation, au gré des différents réalisateurs familiaux (dont moi) des moments de vie, décousus, mal filmés, sans queue ni tête, drôles voire expérimentaux, aux dialogues surréalistes; mais aussi des sentiments manqués, des regards oubliés, des visages trop proches, flous, expressifs ou pudiques, surpris ou intrusifs…

Et puis remontent aussi toutes les fantasmagories liées à cet endroit, l’île Callot : une île reliée au continent par quelques centaines de mètres de bitume, que recouvre la mer à chaque marée. Pour nous, enfants, c’était aussi excitant que terrifiant, car nous avions entendu tellement d’histoires : la marée qui monte trop vite, la route qui disparaît, la peur de rester prisonnier, des voitures chaque été abandonnées par des touristes inconscients et submergées par les flots ou plus tragique encore, des récits de noyades.

Après l’exploration émue de ma propre réserve de souvenirs, je considère toute la toile de fond, ce que ces images proposent comme portrait d’une famille, d’une époque, de l’enfance. Avec tout ce qu’il contient de joyeux, chronique. Mais avec, aussi, au second plan, parfois quasi imperceptible, tout ce qui est moins léger : les regards qui disent tellement de choses sur l’état des relations entre adultes, enfants, imprimés sur ces images, les rôles que chacun.e endosse sans les questionner, une foule de détails qui très vite me hantent, m’hypnotisent. Après avoir imaginé faire un montage de ces images d’archives, sur fond d’un mélange entre prises de son de l’époque et interviews actuelles de ma famille, je comprends rapidement qu’un projet si personnel ne pourra pas se faire sans le dessin – qui est mon quotidien, mon travail, mon obsession. Puis je me détache de l’idée de garder, en brut, une partie de ces images. Tout sera redessiné, et je m’affranchirai de tout l’aspect documentaire du point de départ du film pour oser la fiction.

Paul devient alors mon personnage principal, et cette nuit qu’il traverse est un véritable moment de rupture par rapport à ses parents, à l’enfance. Je veux raconter ce moment fondateur que je crois universel, et souvent lié à un évènement – bien souvent oublié des parents – qui précipite parfois violemment cette prise de conscience.

Ce film est donc le condensé de ce parcours, et de plusieurs années de recherche et d’essais autour de mes thèmes de prédilection : le milieu aquatique, l’enfance, la construction des souvenirs.



Pouvez-vous nous parler de votre choix d’une animation aux crayons de couleurs, qui donne une douceur nostalgique à cette histoire pourtant remplie de tensions et de bouleversements ?

L’utilisation du crayon de couleur s’est imposée, elle fait directement référence à l’enfance : la vibration du crayonné dénote à la fois la fragilité, la vivacité et la spontanéité de cet univers.

J’ai également souhaité que la douceur du crayonné se heurte à l’intensité de l’histoire. Je souhaite surprendre le spectateur en lui faisant miroiter un récit doux et enfantin pour ensuite l’amener vers des événements et thématiques bien plus profondes.



Autour des couleurs, des personnages et de l’action, il y a aussi une large place laissée à l’épure dans votre film. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce choix du minimalisme, des espaces « vides » ?

Le fond blanc utilisé ponctuellement sert à rappeler que l’image n’est plus qu’un morceau de souvenir, elle est incomplète, réduite à son essence.

J’utilise la technique de la rotoscopie, c’est à dire que je redessine image par image le film que j’ai tourné auparavant avec des acteurs. Je souhaite diriger le regard du spectateur vers ce qui m’intéresse dans l’image. Si le décor ne raconte rien je l’efface. Je prélève ainsi dans l’image filmée les éléments qui m’intéressent et servent la narration, sans m’encombrer du reste.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je suis très inspirée par le travail d’Éric Rohmer dont j’adore l’esthétique ainsi que les ambiances. J’aime également beaucoup l’univers de Guillaume Brac et ses personnages infiniment justes et tendres.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

Récemment j’ai adoré le film le film Aftersun de Charlotte Wells qui a beaucoup résonné avec les intentions de mon film. Le film raconte un souvenir d’enfance marquant entre une fille et son père à travers, entre autres, des rushs de caméscope. L’esthétique est sublime et le propos très touchant.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 janvier 2024. Un grand merci à Luce Grosjean.

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