Critique : Aftersun

Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ?

Aftersun
Royaume-Uni, 2022
De Charlotte Wells

Durée : 1h38

Sortie : 01/02/2023

Note :

LES CHANSONS D’AMOUR

A quelle époque se déroule Aftersun ? Les nombreux tubes britanniques entendus à plusieurs reprises dans le film placent aisément le curseur sur la toute fin des années 90. De même que les très gros pixels du film de famille qui sert ici de première scène. Sophie, 11 ans, passe quelques jours avec son père dans un club de vacances en Turquie. Quoi de plus normal que de vouloir capturer avec une caméra ces moments hors du quotidien ? Si Aftersun s’ouvre sur la tangibilité immuable de ses souvenirs en vidéo, c’est en réalité un leurre poignant car le film prend en réalité la forme d’une mosaïque nostalgique de souvenirs rêveurs. La sensibilité si sensorielle des images laisse entendre que le film se déroule en réalité peut-être bien aujourd’hui, dans la propre tête de l’héroïne devenue adulte et qui remonte le temps dans sa mémoire.

Repérées avec ses courts métrages sélectionnés à Sundance et SXSW, la réalisatrice Charlotte Wells fait preuve pour son premier long métrage (produit par Barry Jenkins) d’un talent remarquable de mise en scène. Devant sa caméra, les archétypes des vacances en famille (partager une chambre à deux lits, s’inscrit au karaoké sur un coup de tête…) deviennent des songes fragiles et doux-amers. Dans une scène faussement simple, d’une intimité bouleversante, le père esquisse le genre de danse que l’on fait quand nul ne regarde. La scène est épiée comme en cachette et pourtant elle nous montre clairement l’héroïne en train de dormir. Or comment pourrait elle se rappeler de ce qui s’est passé dans son sommeil?

Sophie n’est pas forcément plus mature que son âge, mais son père a l’air si juvénile qu’on le prendrait davantage pour son frère. Là où bien des films se seraient concentrés sur l’ennui adolescent, Aftersun met ses deux protagonistes à égalité. Père et fille semblent parfois amusés par leur manque de spontanéité au moment de communiquer, mais la plupart du temps leur maladresse fait planer un voile de tristesse presque mortifère sur leur horizon. Les paroles des tubes hédonistes ou sentimentaux qui meublent leur quotidien sont délibérément très lisibles, comme si elles venaient directement illustrer à rebours les pensées et ressentis que les personnages ne parviennent justement pas à exprimer. Comme si ces chansons d’amour dites par d’autres étaient des bouées de sauvetage pour ces protagonistes qui gardent leur douleur pour eux, à l’image de ce très jeune papa qui pleure en cachette (Paul Mescal délivre ici l’une des meilleures performances de l’année).

Que connaît on vraiment des jeunes adultes qu’ont été nos parents ? Charlotte Wells parvient à traduire ce sentiment de deuil face à la fin du monde de l’enfance, l’amertume des vaines tentatives de fouiller le passé à la recherche d’indices ou d’un mode d’emploi. Accessible et ambitieux, porté par une tendresse rare, Aftersun est surtout profondément bouleversant. Sans doute l’un des meilleurs premiers films de l’année, et la révélation d’une cinéaste à suivre de près.

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par Gregory Coutaut

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