TIFF 2023 | Entretien avec Tia Kouvo

Family Time, premier long métrage de la Finlandaise Tia Kouvo, faisait partie des très bonnes découvertes de la brillante compétition Encounters à la dernière Berlinale. Cette comédie dramatique compose un portrait familial féroce et tendre, dans lequel la cinéaste parvient avec talent à éviter les recettes faciles. Family Time est présenté cette semaine au Transilvania Film Festival. Nous avons rencontré sa réalisatrice.


Comment avez-vous approché la dynamique et la tension particulière apportées par votre choix d’utiliser des plans fixes ?

Pour moi, utiliser des plans statiques constituait un défi intéressant et je sentais que cette histoire devait être racontée de cette façon : avoir de longs plans où nous avons le temps de voir différentes choses à l’intérieur de l’image, d’observer la situation plus que de suivre des personnages individuellement. Lorsque vos possibilités de créer du rythme grâce au montage sont limitées, il faut que le rythme à l’intérieur des images fonctionne bien. Au stade de la préparation, j’ai essayé d’imaginer comment le rythme se déroulerait, et j’ai aussi beaucoup réfléchi à la création de dynamiques entre les images : que nous sortions parfois de la maison, ou que nous nous rapprochions de quelqu’un pour avoir une autre perspective ou pour faire une pause dans tout ce qui se passe à l’intérieur de la maison.



Vos interprètes jouent souvent leurs scènes sans affect, et la caméra reste souvent à distance. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez collaboré avec vos actrices et acteurs pour créer de l’empathie et de l’émotion ?

C’est intéressant que vous disiez qu’ils jouent sans affect. C’est une façon intéressante de voir cela. Ce que je recherche, c’est un sentiment de réalisme presque comme une vidéo tournée à la maison, comme ils sont. Ils sont simplement là, dans leurs pyjamas, et c’est déjà suffisamment désarmant pour créer de l’empathie. Une chose qui arrive parfois, c’est que les acteurs en fassent trop. Et c’est à ce moment-là que le spectateur n’a plus de moyen de pénétrer dans la scène, si les acteurs contrôlent en quelque sorte la situation, s’ils prennent trop de responsabilités pour divertir ; pour se faire comprendre ou faire comprendre le personnage.

Mon idée est souvent de décrire l’étrangeté, l’irrationalité (de la vie quotidienne et de notre comportement). Ce n’est pas une histoire sur les personnages, c’est sur ce qu’ils représentent, et ils nous représentent tous. Mon film montre les personnages en train d’agir, sans pour autant demander pourquoi ils agissent ainsi. Et cette distinction est parfois un défi car il faut utiliser d’autres outils pour agir. Ou peut-être qu’en tant qu’acteur, vous êtes dépossédé de vos outils. Pour faire court : dans ma mise en scène, je consacre beaucoup d’attention au rythme et aux détails. Je dirige beaucoup les pauses, j’essaie de faire en sorte que les acteurs osent garder ces pauses, qu’ils ne se précipitent pas. C’est dans les silences que nous, en tant que spectateurs, pouvons entrer dans les situations avec nos propres perspectives.



Comment avez-vous trouvé la bonne distance entre le côté chaleureux du film et sa cruauté, entre l’aspect comique et plus amer ?

Je ne me vois pas du tout comme une personne cruelle (rires) ! Je pense vraiment que dans l’amour existe aussi la vérité, et le fait que nous pouvons voir et parler des choses honnêtement, sans fuir ce qui est difficile ou douloureux. Et je pense que diriger mon regard sur ces gens et les observer, à leur niveau, voir leur vie comme une chose si importante qu’elle mérite d’être regardée pendant deux heures, c’est déjà un acte d’amour. C’était important pour moi de montrer à la fois les choses difficiles mais aussi les beaux moments. N’est-il pas triste que pour beaucoup d’entre nous, la famille soit très importante, mais que nous ne puissions pas en tirer le meilleur parti ? Je voulais y réfléchir, essayer de savoir pourquoi il en est ainsi et si quelque chose peut être fait à ce sujet.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

En faisant Family Time, j’ai beaucoup repensé à Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu et Happiness de Todd Solondz. Voyage à Tokyo pour la tendresse du regard d’Ozu, et Happiness pour le regard cru de Solondz. Je suppose qu’être douloureusement honnête est quelque chose qui l’intéresse aussi. Les cinéastes suédois Roy Andersson et Ruben Östlund m’ont aussi beaucoup influencée. Ruben a été mon professeur à l’école de cinéma et j’ai visité le studio de Roy où il construit toutes les scènes de ses films. Faire une scène prend plusieurs mois à lui et à son équipe. Ils m’ont beaucoup appris sur la façon de placer la barre haute et de construire des images méticuleusement, presque comme des peintures.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

A la Berlinale j’ai vu des films de cinéastes dont je n’avais rien vu auparavant. Et hier je suis allée au cinéma pour voir Aftersun de Charlotte Wells, qui est aussi un premier long métrage. Donc cela m’arrive assez souvent je dirais !


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 mars 2023. Un grand merci à Jussi Rantamäki. Crédit portrait : Carlo Askander.

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