Critique : Rotting in the Sun

Sebastián Silva est déprimé. Quand il ne dort pas, le cinéaste prend des quantités absurdes de kétamine et cherche sur Internet des méthodes de suicide indolores. Dans une tentative de le sortir de là, son manager l’envoie en vacances sur une plage nudiste gay. Là, il manque de mourir en essayant de sauver de la noyade l’influenceur Jordan Firstman.

Rotting in the Sun
Etats-Unis, 2023
De Sebastián Silva

Durée : 1h49

Sortie :  15/09/2023 sur Mubi

Note :

SOUDAIN LE VIDE

Sebastián Silva (lire notre entretien) ne va pas très bien. Ce n’est pas nous qui le disons mais lui-même, puisque le cinéaste chilien (La Nana, Les Vieux chats, Magic Magic…) joue ici son propre rôle (ou du moins une version exagérément dépressive, on l’espère pour lui). Rien ne fonctionne dans son quotidien et son propre appartement est plongé dans un chaos tel que les drogues ne lui suffisent plus à avoir la paix tandis que les pulsions de mort se font de plus en plus présentes dans sa tête, quitte à tenter de faire l’acquisition d’un poison destiné… aux chiens. Car, détail important : contrairement aux apparences, Rotting in the Sun est en réalité une comédie.

Mais chez Silva, la comédie va souvent de pair avec la folie et le malaise. Si le cinéaste a déjà prouvé son talent pour marier les trois (comme dans Nasty Baby, qui lui avait valu le Teddy Award à Berlin en 2015), il déplace ici le curseur encore plus loin. Poussé par ses proches, Sebastián part se changer les idées sur une plage gay nudiste, avec L’inconvénient d’être né de Cioran sous le bras – détail irrésistible. Il y fait la rencontre de l’influenceur queer Jordan Firstman, qui joue également son propre rôle (ou plutôt, on l’espère, une version dont la santé mentale n’a aucun rapport avec la réalité).

Ici, le Mexique n’est pas un paradis pour touriste mais le lieu idéal pour venir mettre fin à ses jours, et le temps d’une séquence à l’humour grotesque et aux innombrables gros plans sur des bites (pas toutes au repos) cette plage paradisiaque pour homosexuels se transforme en cercle de l’enfer nappé d’un sentiment de paranoïa titanesque et fascinant. La recette est difficile à expliquer mais elle fait un effet incroyable. Plus éprouvante que tous les films sélectionnés en section Midnight, c’est peut-être la scène de fiction la plus inclassable et bizarre vue au Festival de Sundance cette année.

Par la suite, Rotting in the Sun change de registre pour virer à la comédie de boulevard gay avec quiproquos à gogo, partouze sous poppers et femme de ménage louche (excellente Catalina Saavedra). Et toujours avec des pensées suicidaires bien sûr, il ne faudrait pas que le spectateur ou les personnages bénéficient trop longtemps du confort de la familiarité. La vie est ici un chaos à la fois hilarant et épuisant où personne ne s’écoute et personne n’est capable de prendre soin des autres. Là encore, l’humour n’empêche pas les aspérités.

En évitant toute position moraliste, Silva parvient à retranscrire avec une immersion rare l’horreur du vide et de la solitude qui peuvent se cacher derrière l’hédonisme et le narcissisme à tout crin, qu’il s’agisse de ceux propres aux réseaux sociaux ou à une certaine culture gay. Sur ce dernier point, Rotting in the Sun possède d’ailleurs une qualité en commun avec Passages d’Ira Sachs (également montré à Sundance) : venir tordre le coup aux représentations infantilisantes en osant montrer des personnages queer négatifs, odieux, lâches ou débiles comme il en existe aussi dans la vie. Les mauvaises représentations, ça compte beaucoup aussi.


>> Rotting in the Sun est disponible sur Mubi

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article