Critique : Un corps sous la lave

Parmi l’équipage de Christophe Colomb, trois hommes condamnés à mort ont échappé à leur sort en s’embarquant pour l’incertain voyage. Atteignant les îles Canaries, ils fuient, emportant avec eux l’une des voiles du navire. Pendant ce temps, sur le vieux continent, une femme tente de sauver sa sœur mourante en l’amenant voir une guérisseuse. Le film mêle ces deux destinés.

Un corps sous la lave
Espagne, 2021
De Helena Girón & Samuel M. Delgado

Durée : 1h15

Sortie : 20/12/2023

Note :

L’ANNÉE DE LA DÉCOUVERTE

Un corps sous la lave s’ouvre sur des images de corps submergés par des vagues et empêtrés dans un élégant tissu (qui s’avère après quelques minutes être la voile d’un navire). Des hommes entièrement immergés y sont maintenus sous la surface par la force des éléments, dans un espace où l’on ne distingue plus le bas du haut. Une fois sortis des flots, les trois protagonistes ne trouvent pas davantage leurs repères, naufragés qu’ils sont sur les rochers arides et anonymes d’une île des Canaries. Le film laisse alors toute la place à leur sidération silencieuse face à ce no man’s land. Dans un vertige à la Herzog, la mise à scène fait surgir des humains minuscules dans des paysages gigantesques, pour mieux les laisser à la merci de quelque chose qui les dépassent.

Quasiment dépourvu de dialogues (les rares qu’on entend dans le film sont en langue galicienne) ou de repères narratifs (tout juste est-il brièvement question de Christophe Colomb, sans que l’on sache très bien s’il s’agit d’autre chose que d’une blague), Un corps sous la lave travaille une perte de repère chez les spectateurs également. En parallèle de ce naufrage s’en déroule un autre, plus métaphysique : une jeune femme transporte le corps de sa sœur décédée. Les deux histoires se déroulent-elles sur la même île ? À la même époque ? Lorsque le grain de l’image évolue soudainement, quel changement de point de vue cela traduit-il ? Qui nous raconte cette histoire opaque venue du fond des âges ?

Le duo de plasticiens Helena Girón et Samuel M. Delgado (qui signent ici leur premier long métrage) préfèrent une poésie brute et énigmatique aux réponses toutes faites. Le résultat est parfois frustrant d’aridité, mais il se dégage néanmoins de l’ensemble une atmosphère remarquable de triste menace, comme la prescience de la fin d’un monde sur le point d’être englouti par la mort,la colonisation, l’oubli. D’une beauté exigeante et parfois cryptique, Un corps sous la lave rappelle le travail d’autres cinéastes radicaux espagnols tels Lois Patiño (Red Moon Tide) ou Eloy Enciso (Longa noite).

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par Gregory Coutaut

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