Critique : Les Colons

Terre de Feu, République du Chili, 1901. Un territoire immense, fertile, que l’aristocratie blanche cherche à « civiliser ». Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien, José Menendez, pour déposséder les populations autochtones de leurs terres et ouvrir une route vers l’Atlantique. Sous les ordres du lieutenant MacLennan, un soldat britannique, et d’un mercenaire américain, le jeune métis chilien, Segundo, découvre le prix de la construction d’une jeune nation, celui du sang et du mensonge.

Les Colons
Chili, 2023
De Felipe Gálvez

Durée : 1h37

Sortie : 20/12/2023

Note :

LA GRANDE ILLUSION

L’horizon se déploie à perte de vue dès les premiers instants des Colons, premier long métrage du Chilien Felipe Gálvez (qui a été notamment monteur pour Le Grand mouvement). Cette profonde respiration contraste avec la brutalité du son et des actions. Le cinéaste installe immédiatement une intéressante dynamique entre cette caméra qui capte des étendues à l’infini, et qui en même temps, à coup de gros plans, met en valeur la pénibilité physique de ce qu’accomplissent les personnages. Ces éléments (le décor d’un côté, les protagonistes de l’autre) semblent disjoints, alors précisément que les hommes semblent s’acharner à apprivoiser cette terre.

Ce sentiment est renforcé par le remarquable travail sur la lumière qui met les personnages en relief, comme détachés de là où ils sont. Les Colons s’ouvre par une citation de l’ouvrage L’Utopie, écrit au début du 16e siècle par l’Anglais Thomas More. Utopie est un mot inventé par More, désignant le lieu qui n’existe pas, littéralement ce qui n’est aucun lieu. C’est ce dont il est question, entre autres, dans Les Colons : comment des Blancs ont colonisé un continent sur lequel ils ont projeté leur propre fiction, tout en ignorant et éliminant les personnes qui y vivent.

Tout est illusion dans Les Colons. Il y a celle dont on se persuade (un homme au travail se fait arracher le bras, « ce n’est rien ! » commente t-il), celle dont on se berce (un autre homme vante ses goûts raffinés tandis qu’il déverse des litres de bave à travers ses dents pourries). Il y a les illusions déçues (« Je pensais que c’était plus grand » dit un personnage face à la nature immense) et parfois une illusion qui prend vie devant nos yeux lors d’une apparition merveilleuse et inattendue. Mais la plus grande illusion racontée par Felipe Gálvez se situe ailleurs.

Le cinéaste dépeint les conquêtes des colons et leurs démonstrations de force, qu’elles soient ridicules – à la boxe ou au bras de fer – ou tragiques – le massacre de tribus croisant leur chemin. Mais l’illusion d’une toute-puissance virile tombe vite en lambeaux lorsque se dessine petit à petit un système pyramidal de colons, dans lequel les plus forts ne feront qu’une bouchée des plus faibles. C’est un système de hiérarchie cynique et vertigineux, qui met en évidence la dimension cannibale de la colonisation (et le film fait parfois songer… à Vorace d’Antonia Bird). Felipe Gálvez le met en scène de manière impressionnante, avec un mélange une violence à la fois horrible et grotesque.

Le film peut avoir une valeur de témoignage, mais il n’est pas si sentencieux pour autant. Car la dernière illusion, probablement la plus intéressante, dont traite Gálvez, c’est celle du narrateur et de son point de vue. Qui raconte l’Histoire ? Qui est persuadé d’avoir raison, qui est réellement un sauveur ? On peut aller plus loin : qui a besoin d’être sauvé ? Dans le long métrage, des cochons s’imaginent rois ou bons samaritains. Et jusqu’au bout, dans un dernier plan glaçant, les peuples autochtones restent mis en scène dans l’utopie blanche.

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par Nicolas Bardot

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