Festival de Rotterdam | Critique : Longa noite

Après la guerre, Anxo retourne dans son village natal de la campagne galicienne. Il est accueilli avec inquiétude par les vainqueurs et les vaincus, qui voient en lui une menace de replonger dans leurs souvenirs enfouis.

Longa noite
Espagne, 2019
De Eloy Enciso

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

LONGA NOITE

« Ce monde-là est le pire que j’ai jamais connu ». Ça ne va pas très fort pour les personnages de Longa noite, tous prisonniers de la « nuit sans fin » du titre. Des pauvres hères, réduits à mendier sur les marches d’une église, errant dépouillés de tout espoir, de toute connexion au monde qui les entoure. Leur horizon est bouché, enclavé dans des cadrages rigoureux et élégants, dans une mise en scène d’une beauté sévère. Leur visages sont fermés mais leur verbe est éloquent. Dans une langue décalée, sortie d’on ne sait quel passé lointain, ils déclament leur désespoir dans une artificialité toute théâtrale.

Une artificialité encore renforcée par le jeu particulièrement brut des comédiens, tous non-professionnels et eux-mêmes marginaux. Dans une démarche qui rappelle Pedro Costa ou Bruno Dumont, le cinéaste espagnol Eloy Enciso fait des ces figures blafardes des allégories, comme les personnages d’un autre monde, les transmetteurs d’une langue oubliée. Les dialogues du film sont en effet issus d’authentiques écrits (sociaux et littéraires) datant de l’époque du franquisme. Dans sa démarche même, Longa noite est déjà politique. La nuit sans fin dont il question, c’est l’ombre de Franco, mais c’est bien celle du monde d’aujourd’hui, prêt à basculer à nouveau dans l’obscurité.

Mais Longa noite est aussi un geste poétique radical. Passée une première partie diurne, le film plonge dans la nuit pour ne plus en sortir. Les personnages quittent les coins de rue et les abris pour se retrouver plongés dans une forêt de conte, sur un rivage incertain. Le changement de paradigme et puissant, comme si à leur coté, nous passions nous-mêmes de l’autre coté du monde. Le film a du mal à se relever d’une telle pirouette. Cette nuit noire se fige dans l’inaction. Aussi appliqué formellement qu’il soit, ce tour de magie souffre d’un manque de relief, de respirations. « Ce monde-là est le pire que j’ai jamais connu », cela sous-entend donc qu’il en existe d’autres, et Eloy Enciso a suffisamment de talent pour nous les faire entrapercevoir.

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par Gregory Coutaut

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