Critique : Stars At Noon

Une jeune journaliste américaine en détresse bloquée sans passeport dans le Nicaragua d’aujourd’hui en pleine période électorale rencontre dans un bar d’hôtel un voyageur anglais. Il lui semble être l’homme rêvé pour l’aider à fuir le pays. Elle réalise trop tard qu’au contraire, elle entre à ses côtés dans un monde plus trouble, plus dangereux.

Stars at Noon
France, 2022
De Claire Denis

Durée : 2h17

Sortie : 14/06/2023

Note :

JOUR D’IVRESSE

A l’origine du nouveau film de Claire Denis, il y a le roman de éponyme de l’auteur allemand Denis Johnson. Bien que le décor (le Nicaragua) et le genre (un récit d’espionnage) puissent a première vue avoir l’air d’un dépaysement pour Denis, on distingue rapidement ce qui a pu attirer la réalisatrice de White Material dans cette histoire de deux Blancs têtus et maladroits, empêtrés dans une jungle et des magouilles politiques qui ne sont pas les leurs. On devine également en filigrane l’adaptation cinématographique qui aurait pu être faite de ce roman à l’époque de sa publication dans les années 80 : une romance au sens de l’érotisme et de l’aventure un peu désuet, avec un recul différent sur l’attitude post-colonialiste de ses personnages. Il y avait là un film très classique tout prêt à être adapté mais qui n’existe pas.

Stars at Noon n’a en effet pas grand chose de classique, et ne ressemble a rien d’autre qu’à du Claire Denis. Les premières séquences semblent pourtant marcher droit dans les cases de cette hypothétique adaptation d’une autre époque. On se pince un peu devant cette bluette entre touristes chics sur fond de piano jazz dans un bar d’hôtel. Presque sorties d’un téléfilm érotique, Ces premières scènes font finalement le même effet que les d’autres débuts de films de la cinéaste : une interrogation interloquée sur le sujet réel du long métrage et sur la direction que va bien pouvoir prendre l’ensemble. Se demander « mais hein ? » est un phénomène dûment identifié devant l’œuvre imprévisible de Denis, sans que ceci ne soit négatif.

Trish n’a l’air ni d’une espionne ni de la journaliste américaine qu’elle dit être. Femme-enfant coincée au Nicaragua pour des raisons improbables (et joyeusement inexpliquées), elle se promène en jupette au milieu des milices dans des quartiers miteux, avec un mélange d’insouciance et de provocation. Elle rencontre Daniel, un Anglais séduisant vêtu d’un costard en lin blanc sorti d’on ne sait quel imaginaire colonial (ou sorti d’un film érotique, on y revient). Les deux jouent d’abord à se manipuler et à se faire peur avant de tomber amoureux fous. Denis n’est pas dupe de ces clichés. Comme souvent chez elle, cela pourrait avoir l’air très bourgeois et c’est en réalité bien plus bizarre. Ces archétypes d’un autre temps donnent parfois l’envie de glousser de rire et on jurerait que si on montait le son, on entendrait la réalisatrice glousser aussi.

Dans ses meilleurs moments, Stars at Noon est à la fois camp et punk (un mélange qui fait à nouveau dire « mais hein ? »). Le film raconte probablement la même histoire que le livre, mais Denis donne en effet sans cesse l’impression culottée de ne consentir à raconter son récit que du bout des doigts, pour mieux se concentrer en parallèle sur ce qui l’intéresse réellement : la passion visible en très gros plans sur le visage de ses acteurs. Tout est prétexte à filmer les grands yeux clairs et fous de Margaret Qualley, et surtout à filmer des corps dans tous leurs états: tanguant sous l’effet dune ivresse en plein jour, ruisselant de la sueur d’après l’amour, écrasés par la moiteur tropicale, trop blancs pour passer inaperçu.

C’est quand elle se paye le luxe d’ouvrir des parenthèse hors-récit (comme cette scène dans un taxi aveuglé par une averse) et au moment de faire de la pure mise en scène que Denis possède le plus de panache. On aimerait bien qu’elle se paye l’audace de carrément balancer tout le reste par-dessus bord car chaque retour narratif vers cette histoire de CIA et d’élections truquées est moins palpitant que le précédent, comme si le désintérêt poli de la cinéaste pour cet aspect-là était contagieux. Au final, Stars at Noon pâtit pas mal d’être ainsi alourdi par son propre récit. Nous parlions de « charme tordu » pour décrire Les Cinq diables de Léa Mysius, on pourrait réutiliser l’expression pour Stars at Noon, que Mysius a coscénarisé. Le résultat est imparfait (c’est flagrant, c’est aussi son charme) mais il possède son atmosphère propre, enivrante comme un verre pas très bien dosé mais efficace, bu en plein cagnard. Un cocktail à conseiller avant tout aux amateurs des recettes maison de Claire Denis.

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par Gregory Coutaut

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