Critique : Love Life

Taeko vit avec son époux Jiro et son fils Keita en face de chez ses beaux-parents, qui n’ont jamais vraiment accepté ce mariage. Alors que Taeko découvre l’existence d’une ancienne fiancée de son mari, le père biologique de Keita refait surface… C’est le début d’un impitoyable jeu de chaises musicales, dont personne ne sortira indemne.

Love Life
Japon, 2022
De Koji Fukada

Durée : 2h04

Sortie : 14/06/2023

Note :

UNE FEMME A SACRIFIER

Dévoilé en compétition à la Mostra de Venise, Love Life de Koji Fukada s’inscrit dans la lignée d’Hospitalité, Harmonium et L’Infirmière, où les portraits de familles en apparence parfaites révèlent peu à peu leurs fêlures. Cela peut prendre l’aspect d’une comédie (Hospitalité), d’une tragédie (Harmonium), ou d’un drame d’une vertigineuse ambiguïté ; en cela, Love Life est plus proche de L’Infirmière. Le nouveau long métrage de Fukada s’ouvre par une mise en scène du bonheur : des félicitations sont adressées lors d’un moment festif. Les protagonistes, bien intentionnés mais maladroits, s’organisent laborieusement, et le message se retrouve mal orthographié. Assez vite, il y a quelque chose qui cloche dans ces démonstrations d’amour.

Love Life, dans ses moindres détails, du travail sur la lumière aux bibelots qui apparaissent à l’écran, est badigeonné de jaune. C’est une couleur chaleureuse, au Japon elle est entre autres un symbole de courage. Il en faudra à Taeko, confrontée à un terrible accident. Mais du courage, il lui en faut en fait dans sa vie de tous les jours. Taeko est l’incarnation de la discrétion soumise et polie. Son beau-père peut avoir vis-à-vis d’elle un comportement d’une grossièreté effarante, c’est elle qui s’excusera du malaise causé. On prend le parti de cette femme, épouse et mère, sacrifiée et humiliée – mais jusqu’à quand ? Jusqu’où Fukada poussera-t-il son curseur ?

Agressée physiquement par son ex-compagnon, Taeko ne tarde pas à lui trouver des excuses. Les comportements dans Love Life (surtout ceux de Taeko) sont inattendus, parfois jusqu’à l’abstraction. Mais cette cruauté n’est pas qu’arbitraire. Gris-gris porte-bonheur accroché au balcon, Taeko est victime d’une aliénation qu’une société entière – celle, du moins, des hommes – conçoit comme une norme. Derrière la carte postale et le piano trop sucré de la bande son, il y a davantage d’aspérité. On demande à Taeko de prendre le poids du monde entier sur ses épaules, et celle-ci est priée d’accepter poliment, en silence.

Minutieux slow burner, Love Life est un portrait à la fois poignant et glaçant – si l’on est en empathie avec son héroïne, Fukada a l’honnêteté de ne pas rendre son récit confortable : il n’y aura pas de consolation et c’est ce qui participe à la profondeur du long métrage. Le monde ainsi fait exploitera Taeko dès que possible, même un séisme n’y changera rien. « Je n’en suis pas moins seule » confesse-t-elle, pourtant accompagnée. Quelle place pour elle dans cette réalité ? Qu’aperçoit-on dans l’embrasure d’un rideau ? La façon dont le titre apparaît en toute fin de long métrage, sur ses dernières images, est d’une violence aussi amère qu’impressionnante.

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par Nicolas Bardot

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