Critique : Les Cinq diables

Vicky, petite fille étrange et solitaire, a un don : elle peut sentir et reproduire toutes les odeurs de son choix qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Elle a extrait en secret l’odeur de sa mère, Joanne, à qui elle voue un amour fou et exclusif, presque maladif. Un jour Julia, la sœur de son père, fait irruption dans leur vie. Vicky se lance dans l’élaboration de son odeur. Elle est alors transportée dans des souvenirs obscurs et magiques où elle découvrira les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.

Les Cinq diables
France, 2022
De Léa Mysius

Durée : 1h35

Sortie : 31/08/2022

Note :

TOUT SUR MA MÈRE

C’était déjà au Festival de Cannes que la réalisatrice Léa Mysius fut révélée il y a cinq ans avec son premier long métrage, Ava. C’est à nouveau à Cannes qu’est présenté son nouveau film, Les Cinq diables, mais ce n’est pas le seul point commun que possèdent ces deux curieux récits. Si les plages grandes ouvertes d’Ava ont laissé place à un village de montagne plongé dans une ombre quasi permanente par les cimes environnantes (tel un cocon ou un secret), Les Cinq diables fait à nouveau preuve de personnalité au moment de tordre discrètement le cou aux attentes du récit d’apprentissage de jeune fille. On peut même dire sans hésiter que Mysius s’éloigne encore davantage cette fois des sentiers battus.

Petite fille métisse, Vicky détonne dans cette petite ville paisible où les membres de l’équipe de GRS trompent leur ennui au karaoké du coin et où la photo d’une ancienne miss locale est encore affichée fièrement. Avec sa coupe afro et sa curiosité têtue, elle rappelle moins les archétypes du cinéma français que les héroïnes des Bêtes du sud sauvage ou du roman Novice d’Octavia E. Butler. Comme chez ces dernières, la volonté de comprendre son environnement et d’y trouver sa place se traduit de façon métaphorique. Vicky possède en effet un don magique : celui de pouvoir comprendre les choses par leur odeur. Autour d’elle, deux autres femmes puissantes, liées par un mystérieux secret : sa mère (Adèle Exarchopoulos, une fois de plus excellente) et sa tante, qui revient après avoir été brutalement chassée de la région, telle une sorcière de Salem.

De fait, Les Cinq diables demeure davantage un drame d’auteur qu’un film fantastique, mais avec un pied dans le réalisme régional et l’autre dans le merveilleux enfantin, Léa Mysius donne d’emblée l’impression excitante de bondir dans toutes les directions. Or c’est exactement ce qui se passe. On ne révélera évidemment pas les évolutions inattendues du récit, mais la singularité du film n’est pas qu’une affaire d’éventuels coups de théâtres. A l’image de sa jeune héroïne guidée par son odorat, le film semble suivre plusieurs pistes à la fois, tenter différents tons, ouvrir des récits dans le récit, abandonner un protagoniste un moment pour en développer un autre… Le recette peut avoir l’air brouillonne mais il serait plus juste de dire qu’elle possède un charme tordu. Il n’est pas toujours évident pour le spectateur de savoir par quel wagon rentrer dans ce drôle de manège. Comme Vicky, à lui aussi d’utiliser son flair pour être récompensé.

Au bout de ce mini slalom, c’est peut-être bien à un autre film français que Les Cinq diables vient finalement faire écho. Un film récent à la singularité pas suffisamment appréciée : Petite maman de Céline Sciamma. Sans se ressembler de façon flagrante, les deux contes nous parlent du rapport à nos parents, leurs secrets, leurs vies avant nous. La découverte respectueuse de cette vie secrète se fait avec la simplicité (et aussi la précipitation, dans le cas de Mysius) des jeux d’enfant, comme la passation douce d’un secret magique entre différentes générations de femmes.

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par Nicolas Bardot

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