Critique : May December

Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.

May December
Etats-Unis, 2023
De Todd Haynes

Durée : 1h53

Sortie : 24/01/2024

Note :

CHRONIQUE D’UN SCANDALE

Par une journée ensoleillée, dans le grand jardin d’une maison américaine, un barbecue se prépare. Les enfants jouent, on s’active en cuisine et on attend la ou les invité(es), on ne sait pas trop. Les codes chaleureux de cet rituel de bon voisinage sont respectés à la lettre, comme si nous y étions nous-même conviés avec bienveillance. Or, on n’a même pas encore eu le temps de saisir chez qui nous étions exactement qu’un détail obscène, presque tout droit sorti d’un John Waters période Polyester ou Serial Mother, vient joyeusement nous sauter au nez. Les personnages sauvent vite les apparences et le film maintient son sérieux comme si de rien n’était et on se demande si on n’a pas rêvé. Dans la maison de qui sommes nous, devant le film de qui nous trouvons nous ?

Les personnages de May December ont justement tendance à se faire beaucoup de films, comme c’est souvent le cas chez Todd Haynes, et il est ici concrètement question d’un film en devenir. Elizabeth (Natalie Portman, aux manières à la fois artificielles et superficielles) se rend chez Gracie (Julianne Moore, évidemment au sommet une fois encore) car elle s’apprête à jouer dans un film sur sa vie. Gracie n’est pourtant pas une star, juste une femme qui, une quinzaine d’années auparavant, s’est retrouvée dans une situation pour le moins étrange. Il fut question de gros titres de presse à scandale, de prison, d’une rencontre amoureuse ou bien d’une animalerie…Là encore, le scénario prend malicieusement des détours pour nous mettre en appétit.

Avec sa musique de gros suspens qui déboule dans des moments improbables, ses protagonistes manipulatrices et complètement névrosées à la fois, avec ses coups de théâtres outrés (faut-il voir dans le titre un clin d’œil à Soudain l’été dernier de Tennessee Williams ?), May December est un festin camp à souhait. Après avoir trimballé sa muse Julianne Moore dans des hommages à différentes périodes de l’histoire du cinéma (de l’expressionnisme muet du Musée des merveilles aux mélos technicolor dans Loin du paradis), le cinéaste cinéphile Todd Haynes rend ici hommage à un genre mal aimé et malpoli de l’histoire récente du cinéma : le thriller psychologique féminin à gros sabots des années 90. On s’attendrait presque à voir débarquer Rebecca de Mornay au détour d’une scène, ou à voir Moore rendosser son costume de La Main sur le berceau.

L’hommage est amusé mais pas parodique. Haynes, son scénariste et ses actrices s’amusent, et nous avec, et pourtant, il n’y a pas de quoi rire. May December parle d’un sujet très grave et on se surprend à l’oublier sans cesse, comme si on était contaminé par le déni hallucinant des personnages face à la violence et l’illégalité de leurs actes, au point d’en être incapables d’appeler un chat un chat. Dans le contexte de la présentation du film à Cannes, on pourrait d’ailleurs dresser deux parallèles extra-filmiques : d’une part avec la cécité des personnages de The Zone of Interest, d’autre part avec la cécité du monde du cinéma en général face aux violences sexuelles.

D’abord illustrée par des métaphores un peu convenues à base de chenilles et papillons, le discours du film sur le libre arbitre et les responsabilités de l’âge adulte se fait de plus en plus complexe et même poignant. May December a beau avoir le pas un peu bancal par moments , il possède un ton à la fois camp et amer, et en cela il est peut-être bien l’unique spécimen de son espèce.

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par Gregory Coutaut

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