Critique : Ici Brazza

Ici Brazza, tout un programme : une zone en friche vit ses dernières heures. 53 hectares à bâtir pour un vaste projet immobilier dans l’air du temps. Chronique d’un terrain vague en transformation, le film scrute l’annonce d’un « nouvel art de vivre » dans la réalité brute du terrain. Suscitant désir et appréhension, les états successifs du paysage dessinent au fil des ans l’image de la ville de demain.

Ici Brazza
France, 2023
D’Antoine Boutet

Durée : 1h26

Sortie : 24/01/2024

Note :

VOUS ÊTES ICI

Brazza est le nom d’un projet urbain situé à la proche périphérie de Bordeaux : la réhabilitation d’un gigantesque terrain vague d’une cinquantaine d’hectares, non loin du centre ville et pourtant quasiment désert (déjà un étrange paradoxe), en une zone prête à accueillir 9000 nouveaux habitants. Ce chantier de taille, le cinéaste bordelais Antoine Boutet (Le plein pays, Sud eau nord déplacer) l’a filmé pendant près de cinq ans, mais en ne braquant pas sa caméra exactement là où on l’attend.

Ici Brazza n’est pas un film ayant vocation à documenter les différentes étapes du projet, dont aucun acteur n’est d’ailleurs interviewé. Le film est au contraire quasi muet, cherchant moins à expliquer qu’à faire ressentir quelque chose. Boutet filme d’abord la poésie brute de cette ancienne zone industrielle en friche, où la nature a poussé sauvagement. Dans un montage pas nécessairement chronologique, il alterne cette étonnante nudité à la modernité flambant neuve des nouveaux immeubles désormais sortis de terre. Le temps d’une séquence magique, ceux-ci viennent même se superposer de manière presque fantomatique à des paysages encore vierges.

Antoine Boutet n’élude pas la question humaine d’un tel projet. On croise dans Ici Brazza un couple de résidents ayant connu le passé animé du quartier, une paire de squatteurs, des jeunes de passage le temps d’une free party, un policier pas très ami avec la caméra et des populations bulgares déplacées. Mais ces visages brièvement croisés ne sont pas les plus nombreux. On voit en effet surtout ceux, artificiels et robotiques, des campagnes publicitaires vantant un futur lumineux pour Brazza. Dans ces images lumineuses dignes de n’importe quel prospectus immobilier, tout sonne faux et rien n’a l’air vraiment vivant. Le tournage d’Ici Brazza s’est achevé avant l’arrivée de tous ces nouveaux habitants et même achevé, le quartier garde ici des airs de ville fantôme de science fiction.

C’est au contraire une vie invisible que Boutet cherche ici à capter. Dans une lumière fantasmagorique entre aurore et néons, il parvient par moments à mettre en scène la rencontre du passé et du futur, à l’abris des regards. Exigeant par moments, le résultat est une promenade à l’atmosphère entêtante, presque fantastique, qui évoque à plusieurs reprises le vertige des films chinois (fictions ou documentaires) témoignant de la construction express de villes entières.

 

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par Gregory Coutaut

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