Critique : Eureka

Alaina est accablée par son travail d’officier de police dans la Réserve de Pine Ridge. Elle décide de ne plus répondre à sa radio. Sa nièce, Sadie, attend son retour pendant une longue nuit, en vain. Sadie, triste, décide d’entamer son voyage avec l’aide de son grand-père. Elle s’envole dans le temps et l’espace vers l’Amérique du Sud. Elle ne regardera plus de western en noir et blanc, qui ne la représentent pas. Tout lui semble différent quand elle commence à percevoir les rêves d’autres indiens qui habitent dans la forêt. Ses conclusions sont incertaines… Les oiseaux ne parlent pas aux humains, mais si seulement nous pouvions les comprendre, ils auraient sans doute quelques vérités à nous transmettre.

Eureka
Argentine, 2023
De Lisandro Alonso

Durée : 2h06

Sortie : 28/02/2024

Note :

VIENS DANS MON RÊVE

Y a-t-il beaucoup de films qui peuvent se vanter de porter aussi bien leur titre que la dernière rêverie de Lisandro Alonso ? C’est d’abord un titre d’une ironie presque provocante de la part du cinéaste argentin tant celui-ci refuse justement les explications évidentes et les scénarios prévisibles aux formules toutes faites. Mais c’est aussi un mot de passe magique pour entrer dans l’univers onirique de ce conte qui se joue des frontières (de géographie, de cultures, de genres cinématographiques) et obéit à sa propre logique narrative. Il a fallu attendre près de dix ans pour qu’Alonso fasse enfin suite à Jauja, mais cette inclassable invitation au voyage intérieur valait bien l’attente.

Avant de prendre son envol, Eureka a pourtant le pas lourdaud et débute avec une séquence à l’ironie divertissante mais pas très gracieuse. On déboule en plein western en noir et blanc, mis en scène selon les traditionnels codes du genre et dans un format carré rétro. Viggo Mortensen incarne un hors-la-loi à la gâchette facile qui croise, au saloon le plus mal famé du coin, la route d’une femme shérif interprétée par… Chiara Mastroiani. Les artifices sont évidemment mis là pour être repérés du premier coup d’œil, et la séquence (qui n’est pas à proprement parler une comédie mais qui peut évoquer… The Artist) pourrait se permettre de passer plus rapidement à autre chose. Mais la question de la durée est bien entendu récurrente et centrale dans Eureka comme dans le reste de la filmographie du cinéaste. « Le temps est une fiction inventée par les hommes » nous dit d’ailleurs un autre personnage dans une autre scène.

Puis le film change entièrement de peau, se réincarne, comme si on ouvrait les yeux au sortir d’un rêve. Dans un autre coin des Etats-Unis, nous suivons désormais une autre femme sheriff au sein de sa propre communauté au sein d’une réserve amérindienne. C’est comme si toutes les cartes présentées dans la séquence d’introduction venaient d’être retournées, comme si on avait soudain levé le voile d’illusions sur cette vision fantasmée de l’ouest américain pour nous en dévoiler la réalité. Aucun Amérindien n’était présent dans ce mini western factice, comme dans la plupart des films du genre, mais ce sont au contraire les Blancs qui sont quasi-absents de ce nouveau récit. Le désert est ses cactus ont fait place à la neige du Dakota du Sud, la violence de cartoon à une violence quotidienne à la fois plus banale et plus triste. On croit être en plein réalisme sans concession, un comble pour Lisandro Alonso, mais…

On n’en dira pas plus sur les chemins rêveurs à la Weerasethakul qu’emprunte le reste du Scénario . Eureka est un film à la lenteur soutenue, parfois bien exigeante, mais c’est aussi une œuvre si généreuse en poésie et en mystère. L’univers d’Eureka est un monde sans frontière mais riche en portes de sortie, et plus le film déploie son émouvante envergure, plus ces portes se font grandes ouvertes. Rares sont les cinéastes capables de donner ainsi à voir un monde parallèle caché derrière d’anodines apparences, presque dans les interstices de notre quotidien. Ainsi, une simple scène où une femme prend son temps pour boire une tisane devient le tour de passe-passe le plus émouvant de ce voyage fou.

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par Gregory Coutaut

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