Critique : Eternal Daughter

Une artiste et sa mère âgée font face à la résurgence de secrets enfouis lorsqu’elles se rendent dans une ancienne demeure familiale transformée en hôtel, hantée par un mystérieux passé.

Eternal Daughter
Royaume-Uni, 2022
De Joanna Hogg

Durée : 1h36

Sortie : 22/03/2023

Note :

LA VIE DE MA MÈRE

Gothique, Eternal Daughter l’est sans ambiguïté, s’inscrivant dès ses toutes premières images (un manoir perdu dans une forêt embrumée) dans l’héritage du mouvement littéraire fantastique britannique. Lorsque l’héroïne et sa mère âgée arrivent dans cet hôtel isolé plein de gargouilles, à bord d’un taxi presque anachronique, on se demanderait presque si on ne vient pas débarquer à leur côté en plein film de la Hammer. Ici, les couloirs sont forcément vides et inquiétants, la moindre porte grince avec entêtement et des bruits mystérieux semblent provenir du dernier étage… Ce fascinant décor, que l’on prend plaisir à découvrir à leurs côtés, semble fin prêt à révéler leurs secrets les plus inquiétants et inconscients.

Ce codes classiques, Eternal Daughter les applique avec ce que l’on pourrait d’abord prendre pour un respect fétichiste. Or, à l’instar de Mark Jenkin dans Enys Men ou Alex Garland dans Men (deux autres films de fantômes anglais énigmatiques de ces derniers mois), Joanna Hogg parvient au contraire à signer ici un film d’auteur aux partis pris de mise en scène contemporains et à l’écriture très personnelle. Dans cet hôtel où elles sont presque les seules résidentes, les deux héroïnes ne sont-elles pas d’ailleurs des intruses, comme tous les protagonistes de Hogg, de Unrelated à The Souvenir II ?

Passer au registre fantastique pourrait avoir l’air d’un changement radical pour la cinéaste habituée des drames en sourdine. Dans Exhibition, elle filmait pourtant déjà la solitude domestique de sa protagoniste comme un labyrinthe fantomatique, et la demeure de vacances d’Archipelago prenait aussi des airs de maison hantée par une violence familiale psychologique. Dans son excellent documentaire Women Make Film, Mark Cousins plaçait d’ailleurs malicieusement Hogg dans la catégorie de l’horreur psychologique. C’est comme si dans son cinéma, il n’y avait pas de puzzle plus angoissant à assembler que de tenter d’être en harmonie avec son entourage, qu’il s’agisse d’une famille ou d’une maison.

« Les lieux conservent nos secrets et nous les renvoient à la figure », dit maman à sa fille, sans qu’on sache très bien s’il s’agit d’une excuse ou d’une malédiction. En effet, la demeure où elles viennent passer quelques jours de vacances n’a pas toujours été un hôtel ; avant la naissance de l’héroïne, ce fut le lieu de résidence de sa mère. Que connait-on vraiment de la jeunesse de nos parents ? Céline Sciamma utilisait déjà le merveilleux pour répondre à cette question dans Petite maman. Hogg lui répond à son tour, faisant preuve d’excellence dans sa manière de faire naitre l’hésitation surnaturelle (rien que par la composition, la brillante mise en lumière et en couleurs), ainsi qu’en déplaçant le curseur vers une inquiétude plus amère.

Eternal Daughter n’a pas peur de s’assumer en tant que film de spectres, mais son horreur demeure intérieure. Celle-ci se cache dans le miroir que mère et fille, coupées du monde comme dans un huis-clos infernal, se renvoient l’une à l’autre. Incapables de communiquer autrement qu’avec une politesse excessive, elles demeurent une énigme l’une pour l’autre comme si elles n’étaient que des origamis fragiles ou des casse-têtes. L’idée la plus géniale du film est d’ailleurs bien entendu de faire interpréter les deux personnages par la Swinton. Une fois de plus au sommet de son art, celle-ci n’a pas besoin d’effets spéciaux hollywoodiens ou de fonds verts pour traduire la solitude poignante, vertigineuse, de ses personnages. Cri d’abandon dans un décor flamboyant, Eternal Daughter est l’un des meilleurs et des plus sombres films sur la famille vus depuis longtemps.

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par Gregory Coutaut

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