Critique : Petite maman

Nelly, huit ans, vient de perdre sa grand-mère bien-aimée et aide ses parents à vider la maison d’enfance de sa mère. Elle explore la maison et les bois environnants où sa mère, Marion, avait l’habitude de jouer et où elle a construit la cabane dans les arbres dont Nelly a tant entendu parler. Un jour, sa mère s’en va soudainement. C’est alors que Nelly rencontre une fille de son âge dans les bois, construisant une cabane dans les arbres…

Petite maman
France, 2021
De Céline Sciamma

Durée : 1h12

Sortie : 02/06/2021

Note :

LES COULOIRS DU TEMPS

Dans une maison de retraite, Nelly, la jeune héroïne de Petite maman, dit au revoir aux personnes âgées qui étaient les voisines de chambre de sa grand-mère. Celle-ci vient de disparaître, on le devine vite sans que le film n’ait besoin de le mentionner. Mais tout ce qu’on pense deviner à l’avance dans Petite maman finit par s’enrichir de questions supplémentaires. L’histoire du deuil devient une métaphore du récit d’apprentissage, qui lui-même devient ce questionnement : est-ce que l’on devient ses parents ? On sait Sciamma fine scénariste, Petite maman le confirme avec sa richesse et ses niveaux de lecture successifs – le tout dans un film en apparence miniature.

La maison familiale est explorée à la lampe torche, comme une grotte mystérieuse. Sciamma déjoue assez vite les clichés des réconfortants souvenirs d’enfance et, contrairement à d’autres films, le décor ne se laisse pas envahir par des bibelots nostalgiques en forme de coup de coude au public. Et puis de toute façon, comme l’avoue la mère de l’héroïne, les souvenirs, ça peut être déprimant. De la même manière, alors qu’on a facilement tendance à relier l’enfance à une imaginaire magique et spectaculaire, celui exploré dans Petite maman est plus sobre, probablement plus commun, plus réaliste.

Oui, on peut imaginer une créature spectaculaire échappée de la jungle qui apparaîtrait aux pieds du lit la nuit. Mais la plupart du temps, l’imaginaire dans Petite maman est minimaliste. C’est celui des moments d’ennui enfantins, de la solitude d’enfant unique, d’une certaine mollesse grognonne. Les fillettes qu’on voit dans Petite maman, on les croise assez rarement au cinéma – voilà un compliment qu’on peut faire à la plupart des personnages féminins qui peuplent le cinéma de la réalisatrice. On entraperçoit ce qui ressemble à des références, comme L’Esprit de la ruche d’Erice, qui traite déjà d’un monde intérieur magique, mais pas d’une magie extravagante, plutôt la magie un peu inquiétante des recoins d’une maison vide. Sciamma cite Miyazaki parmi ses influences, et si l’imaginaire peut-être le plus chatoyant du monde chez le cinéaste japonais, ses films laissent aussi une large place à l’attente, aux ombres et aux respirations.

Le voyage surnaturel auquel Sciamma nous invite est un moment où l’on redistribue les cartes. A vrai dire, dès le début du film, les rapports semblent déjà redistribués : les protagonistes ne s’adressent pas l’une à l’autre comme une mère à sa fille. Qui décide de l’heure de l’apéro ? Qui nourrit qui ? Le film va à l’encontre d’une infantilisation sentimentaliste. Plus tard, le jeu de rôle constitue pour les jeunes héroïnes une occasion pour trouver sa vraie place. Celle-ci n’est pas figée et la dimension ludique laisse la porte ouverte à la liberté. Le flou fantastique de Petite maman est poétique, on emprunte les chemins oniriques des bois, on ne sait plus bien où l’on est – d’ailleurs la musique du futur qu’on écoute dans le film ressemble… à de la synthpop rétro et rêveuse. Ce récit de poche se fait de plus en plus émouvant, avec une grande subtilité, rehaussée par un silence qui n’est la plupart du temps interrompu que par le bruit du vent, de la pluie, de la forêt, et des jeunes cœurs qui battent.

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par Nicolas Bardot

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