Festival de Séville | Critique : Women Make Film

Women Make Film est un documentaire épique sur l’histoire du cinéma envisagée uniquement par le biais des réalisatrices. Un voyage de 14 heures, divisé en 40 chapitres, avec comme narratrices Tilda Swinton, Jane Fonda, Debra Winger, Adjoa Andoh, Kerry Fox, Thandie Newton et Sharmila Tagore.

Women Make Film
Royaume-Uni, 2019
De Mark Cousins

Durée : 14h00

Sortie : –

Note :

CINÉAST(E)S

« L’histoire du cinéma est sexiste par omission, c’est un club de mecs ». Cela pourrait être la conclusion d’une longue enquête, d’une vraie remise en question. Cela pourrait également porter à controverse : on imagine d’ici la levée de boucliers hystérique de certains intellectuels ou professionnels français face à une telle idée. Cela pourrait être une conclusion, mais c’est au contraire le point de départ de ce documentaire fleuve. C’est la base-même. Et ne détachez pas vos ceintures puisque le film a encore de très nombreuses choses à nous dire et à nous montrer.

Women Make Film ne prétend pas être un catalogue exhaustif de toutes les réalisatrices au monde (même si quasiment toutes les plus connues y sont citées à un moment ou un autre), ni une compilation pour les nuls. Ce n’est également pas un cours d’histoire, car le fil n’y est ni chronologique ni géographique. Le film répond simplement à la question : que faut-il pour faire un film ? Il y répond en 40 chapitres, chacun consacré à une technique, un thème ou un genre cinématographique, et en ne prenant comme exemple que des films réalisés par des femmes. Un manuel de cinéma, plus qu’un index. Une école où tous les professeurs seraient des femmes.

Women Make Film est un documentaire à la forme étonnamment simple. Il ne s’agit que d’extraits de films commentés, analysés et replacés dans l’histoire du cinéma par plusieurs narratrices (dont Tilda Swinton, ici également productrice à l’origine du projet). Le film ne cherche pas à analyser les différences entre réalisateurs et réalisatrices, ni à définir un éventuel cinéma « typiquement féminin ». Il ne cherche pas non plus à disséquer les mécanisme de la domination masculine. « Soyez scandalisés de l’oubli, mais soyez aussi émerveillés par ce que vous voyez » nous invite une des narratrices. De fait, Women Make Film est porté par un titanesque amour du cinéma, un amour de la découverte et de la redécouverte, un raz-de-marée d’enthousiasme contagieux.

L’histoire du cinéma est vaste, et l’histoire des réalisatrice ne l’est pas moins. A l’intérieur de chaque chapitre, Women Make Film brasse les époques, les continents et les styles dans un généreux vertige. On passe sans hiérarchie d’Alice Guy-Blaché aux sœurs Wachowski, de Leni Riefenstahl à Mati Diop. Des chefs d’œuvre indiscutables aux plaisirs populaires (Wayne’s World, Jumpin’Jack Flash, Simetierre…!). Des films muets jusqu’au tout récent Wonder Woman. Du documentaire à l’animation en passant par les courts métrages, l’expérimental et les séries télé. Des réalisatrices les plus connues aux grandes oubliées (venues d’Albanie, de Malaisie, de Bulgarie, du Myanmar…), en passant par certaines dont la carrière n’a pas encore six ans (Jennifer Kent, Laura Bispuri, Katrin Gebbe…). L’histoire du cinéma est aussi faite par des jeunes filles.

La liste des réalisatrices évoquées est bien trop longue pour être intégralement citée. On peut néanmoins noter la récurrence de Varda, Bigelow et Mouratova (tellement citées en exemple qu’il y a de quoi faire un jeu à boire). On peut se réjouir de la forte présence (inattendue mais méritée) de Valérie Massadian et Lucile Hadzihalilovic. On peut s’étonner de l’absence incompréhensible de Naomi Kawase. On peut souligner les audaces de certaines analyses : Marina De Van citée dans le chapitre politique, Ildikó Enyedi dans celui sur la SF et Joanna Hogg dans celui sur l’horreur. On sourit quand Cousins compare les compositions de Márta Mészáros aux clips d’Abba, ou les rituels domestiques de Jeanne Dielman à de tutos Youtube. Le réalisateur Mark Cousins mène sa gigantesque enquête avec dynamisme et humour.

Avec sa forme simple et ses analyses très accessibles, Women Make Film ne se présente pas comme un documentaire militant. Il l’est pourtant. Ne serait-ce que dans sa manière de tordre le cou à cette idée que l’histoire du cinéma appartiendrait aux Blancs et c’est tout. Ce que le film se retient de dire noir sur blanc sur la misogynie de l’histoire du cinéma et ceux qui la font, il le crie de façon encore plus éloquente par sa durée titanesque. Non seulement on s’aperçoit bien vite que l’on peut résumer sans rien rater l’intégralité de l’histoire du cinéma en ne prenant que des réalisatrices comme exemples, mais que cette histoire parallèle est une source de découvertes et de talents intarissable. A nous de prendre le relai pour faire vivre et revivre ces réalisatrices trop vite oubliées. Loin d’être épuisant, ce voyage dans le cinéma est l’un des plus fascinants et excitants qui soient. Encore !

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par Gregory Coutaut

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