Critique : Nuit noire en Anatolie

Ishak est un homme qui vit seul dans la province d’Anatolie et gagne sa vie en jouant du luth dans une boîte de nuit. Une nuit, il reçoit un appel téléphonique urgent de son village, où il ne s’est pas rendu depuis longtemps. Sa mère est malade et souhaite le voir avant de mourir. Parce qu’il avait été forcé de quitter le village il y a sept ans, İshak revient avec toutes sortes de soucis et de questions en tête. Le retour d’İshak au village n’est pas bien accueilli – ni son ancienne compagne, ni le chef du village, ni les amis d’enfance d’İshak n’en sont particulièrement heureux. Il existe un secret que tout le monde veut taire. Ils espèrent qu’İshak quittera bientôt le village…

Nuit noire en Anatolie
Turquie, 2022
De Özcan Alper

Durée : 1h54

Sortie : 14/02/2023

Note :

LE LIEU DU CRIME

Ishak revient dans son village après une longue absence, et retrouve les visages familiers qu’il avait quittés précipitamment. Le spectateur aussi retrouve ici des visages familiers. Au sens propre : puisque Cem Yigit Üzümoglü interprétait déjà un garçon sensible dans RSVP (Please Respond) également en compétition à Antalya. Au sens figuré surtout, tant Nuit noire en Anatolie peut être qualifié de maison témoin du cinéma d’auteur turc avec ses symboles (un gouffre, un animal en voie de disparition, des pièges à ours), ses dilemmes moraux et ses paraboles sur la nature humaine.

Ishak avait quitté son village, pris de remords après avoir participé au lynchage d’un jeune étranger « différent ». On craint un moment que Nuit noire en Anatolie fasse le choix maladroit de nous demander plus d’empathie pour l’hétérosexuel tueur que pour sa victime, mais grâce à une structure en flashbacks (dont les effets de miroirs et d’échos sont plutôt réussis), le film met sur un même plan la dignité des deux personnages. Comme dans la très grande majorité de la production turque, la différence sous-entendue ici ne dépasse cependant pas le stade de l’euphémisme (tout juste la victime est elle traitée de « rossignol »).

La violence propre à une masculinité qui rejette la différence, avec tout ce qu’elle peut représenter et symboliser de politique, est au cœur de Nuit noire en Anatolie. Pas un hasard du calendrier, c’est un programme très similaire à celui de Burning Days, également en compétition à Antalya. Et ironiquement, les deux cinéaste partagent le même patronyme. Là où Emin Alper adapte la forme au fond en twistant les archétypes d’un cinéma viriliste et traditionnel (western, film noir), Özcan Alper demeure un peu trop dans les cases convenues du drame digne où l’on soupire en silence dans les chaumières et où les symboles sont presque accompagnés d’un panneau clignotant à l’écran. Nuit noire en Anatolie manque sans doute de quelque chose de plus unique, en revanche il ne manque pas de savoir-faire et ses deux heures passent comme un charme.

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par Gregory Coutaut

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