Entretien avec Stéphanie Clément

La Française Stéphanie Clément est l’une des révélations de l’année avec son court métrage Pachyderme. Ce film sélectionné au Festival d’Annecy raconte l’été passé par la jeune Louise chez ses grands parents et qui la changera à jamais. La cinéaste fait preuve d’un talent formel prometteur ainsi que d’une grande délicatesse narrative. Pachyderme est visible en bas de cet article, mis à disposition par l’excellente chaine YouTube Bang Bang. Stéphanie Clément est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Pachyderme ?

C’est parti d’une envie de travailler ensemble, Marc Rius – scénariste et producteur – et moi. Nous cherchions à aborder le sujet délicat de l’inceste. En nous basant sur les mécanismes psychologiques de défense, comme le refoulement ou la dissociation, nous avons essayé de construire une histoire autour d’un personnage émotionnellement anesthésié qui bataille avec ses propres souvenirs. Déjà dans mes travaux d’étudiante à Supinfocom Arles (aujourd’hui MopA), je cherchais une manière de traiter de la violence intrafamiliale.



Dans Anonyme, un très court métrage que j’ai réalisé durant ma troisième année, je mettais en scène un couple d’automates où, lors d’une danse, le partenaire masculin démembre progressivement sa partenaire. Pour mon film de fin d’études, Dans l’Ombre, j’avais utilisé le conte Barbe Bleue pour parler des agressions sur mineurs. À ma sortie d’école, j’ai poursuivi avec La Petite Vampire aux Crocs de Verre, un projet transmédia qui n’a malheureusement pas abouti, mais qui traitait d’enfermement familial sur fond de maltraitance.

Avec Pachyderme, nous avons opté pour un récit plus ancré dans la banalité du quotidien, mais en s’autorisant, par moment, des échappées oniriques. L’occasion d’utiliser la force des images pour exprimer ce qui, parfois, est difficile à traduire en mots.



Pachyderme est visuellement superbe, pouvez-vous nous en dire davantage sur le style d’animation que vous avez choisi pour raconter cette histoire ?

Je voulais créer des images qui inspirent au spectateur un sentiment mêlé de douceur et de malaise. Qu’elles aient les couleurs de vieilles photos, comme si nous étions plongés dans un album de famille, mais que les cadrages et la composition des plans introduisent un trouble. Le ciel est quasiment inexistant, par exemple. Quand il est présent, il est obstrué par un élément, comme la maison des grands-parents, des arbres, etc. Ceci pour évoquer l’absence d’échappatoire du personnage.

La fillette est prisonnière, enfermée dans un jeu de surcadrage, l’encadrement d’une porte ou d’une fenêtre. Elle est aussi très souvent fragmentée dans l’image, le haut du corps séparé du bas, comme dépossédée d’elle-même. Parfois, c’est son regard qui est coupé, comme le signe d’un interdit. En ce qui concerne le mouvement des personnages, je voulais quelque chose de minimaliste, une relative immobilité des corps, des gestes lents et contenus, comme des fragments de souvenirs figés.



Quelles questions se pose-t-on pour mettre en scène le non-dit ?

Le problème ne s’est pas vraiment posé en ces termes. L’inceste est un sujet difficile à aborder et l’aborder de façon détournée, je pense par exemple aux éléments oniriques et symboliques dans le film, permet de déjouer les éventuelles réticences du spectateur. De même, dans le texte, rien n’est dit explicitement, mais uniquement suggéré, de manière à conduire le spectateur à comprendre de lui-même la teneur réelle des événements narrés. Si le récit est morcelé et lacunaire, c’est aussi parce que Pachyderme est un film sur la mémoire traumatique. La narratrice a refoulé certains pans de son enfance, cela affecte la structure même de son récit.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je citerais Andreï Tarkovski ou encore Michael Haneke avec notamment son film Le Septième continent dont l’austérité glaçante m’a beaucoup marquée. Cría Cuervos de Carlos Saura, sur lequel je me suis beaucoup appuyée pour l’acting de la fillette. J’apprécie aussi tout particulièrement le travail de Lucile Hadzihalilovic pour sa manière de traiter de l’enfance, avec notamment ses films La Bouche de Jean-Pierre et Innocence.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Je ne suis pas l’actualité des films autant que je le souhaiterais, mais Précieux de Paul Mas et Souvenir, Souvenir de Bastien Dubois m’ont dernièrement tous deux fortement marquée.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 mai 2022. Un grand merci à Estelle Lacaud et Luce Grosjean.

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