Entretien avec Shô Miyake

C’était l’une des pépites de la compétition Encounters l’an passé à la Berlinale. Nouveau film du Japonais Shô Miyake, La Beauté du geste raconte le quotidien d’une boxeuse malentendante. Ce long métrage est un drame poignant d’une beauté tranquille et profonde, porté par la formidable Yukino Kishii. La Beauté du geste sort le 30 août en France. Shô Miyake est notre invité.


Quel a été le point de départ de La Beauté du geste ?

Mon producteur m’a un jour apporté un livre. Il s’agissait de l’autobiographie de Keiko Ogasawara, première femme malentendante à obtenir une licence professionnelle de boxe au Japon. Pourquoi les gens font-ils de la boxe ? Pourquoi s’infligent-ils volontairement ces combats ? Ce sont ces mystères qui sont à l’origine de mon film. Pour écrire le scénario, j’ai moi-même commencé à prendre des cours de boxe et je suis allé voir des matchs. C’est alors que j’ai découvert à quel point la boxe est un sport cinématographique, en particulier les entraînements entre l’athlète et son coach qui ont une beauté proche de celles des scènes de danse (autrement dit d’amour) dans les comédies musicales.



Pourquoi avoir choisi de tourner ce film en 16mm ?

Il y a deux raisons à cela. La première, c’est de réduire le nombre de prises. Le tournage d’un film sur la boxe peut impliquer une exigence physique extrême. J’ai eu peur qu’en tournant avec une caméra numérique sans limite, je finisse par faire l’erreur de me reposer sur mes acteurs et de leur demander de refaire toujours plus de prises. Filmer en pellicule a permis à toute l’équipe de rester concentrée et vigilante.

L’autre raison est esthétique. J’avais envie de raconter cette histoire à la fois comme un documentaire, mais aussi comme un conte de fées ou une fable. Et c’est le grain de la pellicule 16 mm qui m’a permis de concilier ces deux univers très différents. Le tournage en 16 mm a été une expérience tellement stimulante que j’ai l’intention, tant que cela sera possible, de continuer à tourner dans ce format.



Comment avez-vous collaboré avec votre actrice Yukino Kishii pour ce rôle à la fois très physique, émotionnel et muet ?

Yukino a énormément donné d’elle-même dès la préparation du film. J’ai fait en sorte de passer un maximum de temps avec elle, et j’ai suivi à peu près les mêmes routines de boxe qu’elle. Pour ce qui est de la langue des signes, c’est une personne malentendante, Mme Yasuko Hori, qui l’a dirigée jusque dans les moindres détails.

Pendant le tournage, mon travail a consisté à lui procurer un environnement où elle puisse déployer son jeu. Lorsque cette préparation se passait bien, nous n’avions pas besoin d’échanger beaucoup de mots, mais selon les séquences, il a fallu faire plusieurs répétitions et échanger oralement sur les intentions de la scène avant de faire tourner la caméra.



Votre film And Your Bird Can Sing était un récit d’apprentissage dans lequel les jeunes protagonistes n’apprennent pas grand-chose. Ici, vous racontez l’histoire d’une jeune boxeuse prête à abandonner la boxe. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette thématique d’une jeunesse perdue et sans repère ?

Si j’ai tourné deux films sur la jeunesse coup sur coup, c’est parce que le hasard a voulu que je rencontre beaucoup d’acteurs talentueux de cette génération. Comme vous le dites, l’un des thèmes communs aux deux films pourraient être « l’absence de repère », mais ce qui m’intéresse plus encore, c’est de filmer « des moments uniques (comme on n’en vit pas deux fois) », « des moments irréversibles ». Or ce sont des expériences qui se présentent dans toutes les vies humaines donc à l’avenir, en fonction des acteurs que je rencontrerai, je filmerai sûrement d’autres générations.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Ce qui m’a inspiré pour ce film c’est la danse de Fred Astaire et Cyd Charisse dans Tous en scène, et en musique je dirais Snow Fall de Claude Thornhill. Et mes maîtres de cœur sont les personnages créés par Tony Scott et Denzel Washington.


Tous en scène

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Pendant un festival de cinéma, chaque jour apporte un regard neuf (chaque jour est rafraîchissant). Lorsque je suis passé devant le café où j’avais l’habitude d’aller lors de ma dernière Berlinale, j’ai vu qu’il avait été remplacé par un autre, et lors de mes promenades matinales j’ai découvert de charmantes petites rues.

Pour ce qui est des nouveaux talents, il est très difficile de distinguer la nouveauté relative (comparative) de la nouveauté absolue. Mais les acteurs qui ont joué dans mon dernier film, à commencer par Yukino Kishii, ont fait preuve d’un talent qui allait au-delà de mes attentes et n’ont cessé de me surprendre chaque jour sur le plateau.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 février 2022. Un grand merci à Mirjam Wiekenkamp. Crédit portrait : Hitoshi Makanai. Source Tous en scène.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

Partagez cet article