Entretien avec Mihai Grecu

Et si l’on assistait à la résurrection de Nicolae Ceaușescu ? C’est le parti-pris de l’artiste roumain Mihai Grecu qui, dans son moyen métrage Nicolae, projette l’hologramme de l’ancien dirigeant de Roumanie dans un petit village. Le film offre une étonnante réflexion sur la mémoire et la fragilité de la démocratie. Le cinéaste nous en dit davantage sur Nicolae qui figure cette semaine dans la sélection du Transilvania Film Festival.


Quel a été le point de départ de Nicolae ?

L’idée du projet m’est venue en pensant à la question de la temporalité qui modifie la perception de l’Histoire. La lecture de l’Histoire peut-elle être changée en utilisant des nouvelles technologies ? Est-ce que la virtualité de ces technologies numériques de pointe pourrait avoir un impact sur la perception du passé ? Quand j’ai remarqué des nouvelles avancées technologiques qui permettraient de recréer des personnages historiques, j’ai tout de suite pensé à les utiliser pour mettre en question leur impact sur des concepts très importants, tels l’Histoire ou la démocratie.

Vous indiquez avoir utilisé « la technologie pour mieux comprendre et faire parler » les protagonistes qu’on peut voir dans le film. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Les protagonistes de ce film sont des personnes ayant vécu pendant le régime de Ceaușescu. Je voulais les confronter à une apparition sidérante et inattendue, au passé qui se réincarne devant eux comme un miroir de la mémoire. Et pour recréer cette apparition j’avais besoin d’une technologie qui n’existait pas il y a quelques années seulement : un mélange d’holographie et d’intelligence artificielle. En mélangeant ces deux technologies, j’avais enfin les outils pour mettre en œuvre le face à face entre ces personnes et la figure qui a dirigé le pays pendant la majorité de leurs vies.

C’est pour cela que je pense que ces face-à-face entre les protagonistes et l’illusion numérique sont importants pour comprendre leur rapport à la mémoire et au passé, et aussi comprendre leur vision du pouvoir et de la liberté individuelle. Beaucoup de gens mécontents de la situation actuelle du pays demandent de manière métaphorique « le retour de Ceausescu », alors je voulais mettre en œuvre un retour de ce personnage qui soit crédible du point de vue de la perception et de son adaptation à notre époque.

Dans quelle mesure cette manière d’évoquer le passé à travers Ceaușescu constitue-t-elle à vos yeux un bon outil pour parler du présent ?

Je trouve que cela est très important de rappeler l’existence de ce passé. Ce fut très intéressant de discuter de ce passé avec des gens de plusieurs générations et d’observer que certains ont oublié son existence, tandis que d’autres souhaitent le retour de ce passé et la dissolution de la liberté d’expression et de la démocratie. Cela met en avant la complexité des rapports que les gens ont à la situation politique actuelle, où l’on observe le retour des régimes nationalistes et l’abandon de la démocratie dans plusieurs parties de l’Occident.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’ai toujours admiré Werner Herzog, pour avoir toujours transcendé les idées de « réel », « documentaire » et « fiction », pour sa « vérité extatique » et pour son esprit expérimental. J’aime beaucoup Bela Tarr, pour son rapport à la temporalité, à la chorégraphie cinématique et aux profondeurs de l’esprit humain. Également, je suis fasciné par l’œuvre filmique de Bruno Dumont et sa dimension très complexe, ludique et expérimentale.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de différent ?

J’aime beaucoup regarder des œuvres en réalité virtuelle, et je suis de près le monde de l’art numérique également. Je voudrais citer l’œuvre en réalité virtuelle L’Île des morts de Benjamin Nuel : c’est une expérience très étonnante, picturale et onirique, et qui rend hommage au chef-d’œuvre d’Arnold Bocklin, transposé dans l’espace virtuel.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 4 février 2022. Un grand merci à François Martin Saint Léon.

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