Festival Premiers Plans | Entretien avec Marija Kavtaradze

La réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze, qui a présenté son film Slow dans la compétition internationale du Festival du Sundance, est sélectionnée cette semaine au Festival Premiers Plans d’Angers. Ce long métrage raconte avec une finesse touchante l’histoire d’amour naissante entre une danseuse et un jeune homme asexuel. Marija Kavtaradze est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Slow ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Ce sont les personnages avant tout. Je les avais en tête avant même d’avoir un récit. Je me demandais comment une éventuelle histoire d’amour pouvait naitre entre deux, je me demandais même si c’était tout simplement possible. Je me suis beaucoup renseignée sur l’asexualité bien sûr, mais ce qui m’intéressait le plus c’est que j’avais plus de questions que de réponses. J’étais dans le même état d’esprit que mes personnages et c’est ça que je trouvais particulièrement stimulant.



Qu’est-ce qui vous a fait opter pour une image au grain visible ?

Très tôt dans le processus de création du film j’ai su que je voudrais utiliser de la pellicule et filmer cette histoire en 16mm. Je l’ai tout de suite dit à mon chef opérateur et à mon équipe. Le grain particulier que cela apporte correspondait parfaitement à l’atmosphère un peu nostalgique du film où ce sont les sensations qui sont mises en avant. Je souhaitais que le film soit un peu comme une histoire d’amour passée que l’on raconte à quelqu’un ou que l’on revisite avec nostalgie : on regarde en arrière, on oublie certains détails et on se focalise sur d’autres.

Slow laisse une place importante aux silences, est-ce là aussi une manière d’épouser l’incertitude des personnages ?

Ca me fait plaisir que vous disiez ça parce qu’en général j’aime tellement les dialogues que j’ai toujours la crainte d’en écrire trop. Les silences sont importants parce que dans la relation des protagonistes, beaucoup de choses sont passées sont silence. Ils s’aiment mais ne communiquent pas aussi bien qu’ils le pourraient. C’est la nature-même de leur relation qui imposait la présence de ces silences tout au long du film. Au début, les silences sont là car le personnage de Dovydas est interprète en langue des signes, après ils revêtent une signification différente.



De façon similaire, les scènes possèdent un rythme particulier, qui participe à l’atmosphère générale du film. Comment avez-vous travaillé ce tempo ?

Le rythme intérieur de chaque scène était déjà décidé dès le départ, de telle sorte qu’au moment où on tourne il n’y a rien à changer ou apporter, mais le rythme général du film s’est au contraire décidé au montage. J’adore l’étape du montage et j’ai eu la chance de travailler avec la monteuse Silvija Vilkaité. La première version du montage était fidèle au scénario et durait un peu plus de trois heures, mais je savais dès le départ que le montage consisterait justement à réaliser a posteriori tout ce qui était superflu et qu’on pouvait supprimer. Je savais d’emblée que ce serait trop long au début et qu’il faudrait élaguer. L’important était de préserver l’atmosphère particulière qui, elle, était présente dès la première version du scénario.

Quelque chose qui a beaucoup changé en revanche, c’est la structure narrative. La première version du scénario était entièrement non-chronologique, mais je trouvais que le résultat manquait de naturel. C’était paradoxalement trop logique, trop construit. Je voulais au contraire que les émotions prennent le dessus. Je voulais que le public pense le moins possible. J’essayais de trouver une manière de raconter cette histoire qui me soit propre. Je suis passée par différentes versions qui mélangeaient ordre chronologique et non-chronologique, un peu comme un jeu de pistes.

C’est alors là que j’ai finalement réalisé qu’il n’existe pas tant de films que ça qui racontent une histoire d’amour du début à la fin sans jouer avec la temporalité. Je me suis rendu compte que c’était justement pour ça que j’avais l’impression de ressentir un blocage dans mon écriture : une fois que les personnages tombaient amoureux, je ne savais plus comment raconter les choses parce qu’on manque finalement beaucoup d’exemple sur l’après. En général, soit les films racontent la rupture, soit les prémices et dans ces cas-là, le fait d’être en couple arrive comme une résolution à la toute fin. Une fois que mes protagonistes se mettent en couple, il me reste encore la moitié du film, qu’est-ce qui me restait à raconter (rires)? J’ai réalisé que c’est ça dont je voulais justement parler : ce qui se passe en réalité entre les deux.

Qu’est-ce qui vous a guidée dans les choix de l’accompagnement musical du film ?

Je savais dès le départ que je voulais travailler avec des Suédois. Je n’ai pas besoin de vous dire que la Suède possède énormément de très bons compositeurs, n’est-ce pas (rires) ? J’ai eu la chance de pouvoir choisir la musique du film, j’ai écouté de nombreuses options possibles et je finissais toujours par revenir aux compositions d’Irya Gmeyner qui sont très romantiques. Nous avons utilisé des morceaux d’elle déjà existants, mais elle a également composé un accompagnement spécialement pour le film. Quant aux chansons dont Dovydas traduit les paroles dans les premières scènes, la logique voulait qu’elles soient en lituanien, j’ai donc pioché parmi des chansons que je connaissais et qui correspondaient aux sentiments que j’avais en tête.



Quel est le dernier film que vous ayez vu et qui vous a donné l’impression de voir quelque chose de nouveau ?

Il y a deux semaines, j’ai enfin trouvé le temps de rattraper Aftersun de Charlotte Wells, que mon travail sur Slow m’avait empêchée de découvrir plus tôt. C’est bien entendu une expérience très forte, particulièrement émouvante, mais surtout c’est incroyable à quel point c’est bien réalité. C’est fou qu’il s’agisse du tout premier long métrage de la réalisatrice. J’ai été très sensible au langage esthétique qu’elle utilise pour raconter cette histoire. La manière dont le passé et le présent sont identifiables grâce aux différentes natures d’images, et semblent pourtant se mélanger pour donner l’impression que l’enfance et l’âge adulte se passent au même moment pour les personnages. J’ai déjà envie de revoir pour analyser comment elle réussit ça.


Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 17 janvier 2023. Un grand merci à Barbara Von Lombeek et Gudrun Burie.

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