Festival Black Movie | Entretien avec Eugene Kolb

Présenté cette semaine au Festival Black Movie, ur heinous habit part d’une mésaventure arrivée au cinéaste ukrainien Eugene Kolb. Un jour, celui-ci reçoit un e-mail envoyé par un inconnu qui prétend détenir des images piratées de la webcam de Kolb, et sur lesquelles on le voit se masturber. S’ensuit un chantage qui est en fait une arnaque assez commune, et qui a été l’occasion pour Eugene Kolb d’explorer la masturbation et le sentiment de honte qu’elle peut générer chez différent.e.s interlocutrices et interlocuteurs. Le résultat est un court métrage animé malin et ludique. Eugene Kolb est notre invité de ce Lundi Découverte.


A quel moment avez-vous pris la décision de tirer un court métrage à partir de cette histoire de chantage par mail – et pourquoi ?

L’e-mail que j’ai reçu avait l’air très normal à bien des égards. En fait, je l’ai ouvert parce que je pensais qu’il pourrait provenir d’un client potentiel. J’ai tout de suite compris que c’était quelque chose de très différent. L’escroc a prétendu avoir piraté les images de ma webcam en train de me masturber et a menacé de les diffuser à tous mes contacts de messagerie à moins que je ne lui verse une grosse somme d’argent. Dès le début, j’ai trouvé le texte de l’e-mail très drôle, et au fur et à mesure de ma lecture, je suis devenu fasciné par la façon dont l’escroc essayait d’exploiter mon sentiment de honte afin d’obtenir de l’argent.

J’ai fait quelques recherches en ligne et j’ai trouvé une mine d’articles et de posts sur Reddit dédiés à ces escroqueries par e-mail, et bien que le langage varie, ils étaient tous dans la même idée d’exploiter le sentiment de honte des victimes autour de la masturbation et de la sexualité. Bien que la masturbation soit relativement courante de nos jours, du moins aux États-Unis où je vis, il y a quelque chose de tellement violent dans le fait d’être potentiellement exposé pour quelque chose que vous faites en privé et d’être ensuite humilié par d’autres personnes pour cela.

Après avoir appris à quel point ces e-mails étaient devenus omniprésents et à quel point il était probable que beaucoup de mes ami.e.s et connaissances les aient reçus, j’ai commencé à m’intéresser à une conversation plus large sur l’intersection entre la masturbation, la sexualité et la honte à l’ère numérique. J’ai posté une story Instagram demandant si des gens de ma communauté étaient intéressés à avoir ces conversations. J’ai été époustouflé par la réponse positive et la candeur, la vulnérabilité et l’humour des douze personnes que j’ai finalement interviewées pour le film.



Comment avez-vous envisagé le style visuel et les techniques d’animation pour raconter cette histoire ?

Comme les sujets abordés dans le film sont souvent personnels, privés et peuvent être considérés comme tabous pour certaines personnes, je savais dès le début du projet que j’allais créer des avatars animés pour chacun des sujets d’interview afin de protéger leur vie privée. Je voulais éviter que ces avatars ressemblent aux personnes interviewées, alors j’ai engagé mon amie Molly McIntyre, qui est une brillante illustratrice, pour créer le design des personnages, car elle ne connaissait aucune des personnes que j’ai interviewées.

J’ai travaillé pour que les choses restent visuellement simples afin de garder l’accent sur le contenu des interviews. Les interviews étaient brillantes et pleines d’anecdotes amusantes, alors j’ai travaillé pour ajouter des images et des animations qui accentuaient leur humour. Le cadrage des différentes têtes parlantes est censé être tel qu’il m’apparaissait lorsque j’ai mené mes interviews sur Zoom, mais faisait référence en particulier à la façon dont ces personnes pourraient être vues sur leurs webcams par des escrocs potentiels.



Dans votre film, les personnes expriment des choses intimes basées sur la masturbation, et des choses très différentes les unes des autres. Après avoir entendu toutes ces histoires, dans quelle mesure diriez-vous que la masturbation peut dire quelque chose de la personnalité ?

Bien qu’elle soit courante dans de nombreuses cultures, la masturbation est un acte privé et personnel. J’ai constaté que la plupart des gens discutent du sexe en couple beaucoup plus ouvertement que de la masturbation. Je n’ai pas posé de questions sur l’acte réel dans mes interviews. C’est une affaire sacrée et privée. Ce que j’ai trouvé vraiment intéressant, c’est le grand écart qui existe entre les personnes qui gardent le secret à leur partenaire et en ressentent toujours la honte et les personnes qui en parlent ouvertement et l’incluent comme une composante majeure de leurs relations de couple. Les gens sont infiniment variés et fascinants et c’est ce qui me fait aimer faire des films sur eux.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je pourrais énumérer les cinéastes que j’aime pendant des heures et des heures. Si je dois en choisir une poignée, j’ai tendance à me tourner vers le travail de cinéastes qui bouleversent le genre et créent un cinéma incroyable avec des éléments surréalistes – des artistes comme Pedro Almodóvar, Alice Rohrwacher, Ruben Östlund, Bong-Joon Ho et Yorgos Lanthimos, que je trouve tous infiniment inspirants. J’espère qu’ils continueront à faire des films pendant longtemps, ce sont d’incroyables géants du cinéma.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent au cinéma ?

Past Live a probablement été mon film préféré l’année dernière. Le film doux et poétique de Céline Song a parfaitement résonné en moi en tant qu’immigré et romantique. Il a très bien rendu le sentiment de connexion et de nostalgie que les personnes qui émigrent ressentent pour leur pays d’origine et les êtres chers qu’elles ont laissés derrière elles. Greta Lee, Teo Yoo et John Magaro sont brillants dans leurs rôles respectifs. J’ai sangloté dans la salle. J’espère qu’il remportera tous les prix qu’il mérite à juste titre.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 17 janvier 2024. Un grand merci à Pascal Knoerr.

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