Entretien avec Amjad Al Rasheed

Dévoilé à la Semaine de la Critique, Inchallah un fils est le premier long métrage jordanien sélectionné au Festival de Cannes. Son jeune réalisateur, Amjad Al Rasheed, raconte l’histoire d’une femme sur le point de tout perdre à la mort de son mari. Le cinéaste trouve un ton parfois inattendu dans ce récit puissant, porté par son excellente actrice Mouna Hawa. Amjad Al Rasheed nous en dit davantage sur ce film qui sort le 6 mars dans les salles françaises.


Quel a été le point de départ de Inchallah un fils ?

Toute histoire ou idée que je peux avoir doit commencer par une question : « Et si ? ». Inchallah un fils est inspiré par les luttes d’une femme de ma famille proche, qui a consacré sa vie au service des siens. Elle vivait avec un homme qui la rendait progressivement méconnaissable même pour elle-même. À la mort de son mari, selon les lois sur l’héritage, celui-ci était censé être réparti entre les parents les plus proches du défunt parce que le couple n’avait que des filles, tout comme le personnage principal du film, Nawal. Cependant, les frères et sœurs du défunt mari ont renoncé à leur part pour s’assurer qu’elle et ses filles restent chez elles, lui disant : « Nous vous permettons de vivre dans votre maison ». C’est un geste exceptionnel, mais il s’agissait aussi de gens qui financièrement n’avaient pas de problèmes.

La phrase « nous vous autorisons » a soulevé de nombreuses questions dans mon esprit. Et s’ils ne lui permettaient pas de vivre dans la maison, et qu’ils insistaient pour avoir leur part, comme beaucoup de gens le feraient ? Quelles options auraient été disponibles ? Pourrait-elle dire non ? Et est-il logique d’être régi par des lois créées il y a 1400 ans ? Ces questions ont suscité des réflexions plus complexes, qui ont alimenté l’idée du film ; c’est-à-dire une histoire qui raconterait le manque de contrôle que de nombreuses femmes éprouvent sur leur destin et la facilité avec laquelle leurs droits sont transgressés.



Vous avez dit qu’initialement, vous aviez eu l’idée de faire une comédie noire lors de la préparation d’Inchallah un fils. Le film tel qu’il est n’est pas à proprement parler une comédie, néanmoins les circonstances sont tellement cruelles qu’il y a de temps à autres des touches de comédie absurde ou dépressive. Comment avez-vous équilibré ces différents tons ?

Ma première tentative en abordant l’histoire d’Inchallah un fils, ça a été d’en faire une comédie noire. L’absurdité du sujet et les situations déraisonnables auxquelles l’héroïne est confrontée ont conduit mes pensées vers ce ton, mais pour moi, cela ne reflétait pas la réalité de la situation. Quand j’ai commencé à collaborer avec Rula (Nasser, co-scénariste du film, ndlr), nous avons décidé d’emmener ce ton vers quelque chose de plus réaliste, tout en gardant un sentiment d’absurdité.

Pour moi, la vie peut être laide, cruelle et dure, mais ce n’est pas parce que la vie est laide qu’on ne peut pas y trouver un peu de beauté. L’idée était donc d’éviter les mensonges romantiques que le cinéma peut raconter, et d’y aller avec un réalisme qui permettrait plus d’empathie, parce que c’est simplement réel. Et c’est ainsi que nous avons gardé les touches de comédie de la première version du scénario, qui jonglait entre le ridicule et la compassion.

Je crois que vous pouvez trouver de l’humour dans tout, dans des situations absurdes ou horribles ; tout a un potentiel humoristique. Et parfois, j’utilise personnellement le rire pour adoucir les situations pénibles. J’ai utilisé ce mécanisme d’adaptation lors de l’écriture avec Rula et Delphine (Agut, seconde co-scénariste du film, ndlr), comme technique fondamentale afin de trouver le bon équilibre entre ces tons, dans le but de rendre l’histoire plus pertinente. Ces moments m’ont permis d’exposer mon point de vue au niveau d’un réalisme humaniste, c’était une manière de trouver l’espoir dans le malheur et le rire dans le chagrin.



Votre actrice Mouna Hawa est formidable dans un rôle à différentes facettes. Pouvez-vous nous en dire davantage concernant votre collaboration sur ce film ?

Mouna est une actrice très talentueuse avec un large éventail d’émotions. C’est une femme forte et intelligente, et ces qualités m’ont encouragé à collaborer avec elle sur ce film.

Le talent de Mouna Hawa était une chose, mais la découvrir en tant qu’être humain était aussi important que son talent. Pendant deux ans en amont du tournage, nous avons eu des discussions informelles sur différents sujets, y compris l’histoire d’Inchallah un fils, où je pouvais mieux la comprendre en tant qu’artiste et personne. Cela m’a aidé à avoir les clés afin de communiquer ce que j’attendais d’elle pour le rôle de Nawal – lors des préparations ou sur le plateau – et la motiver avec précision à me donner les bonnes émotions et le bon rythme au bon moment dans les scènes. C’était notre objectif principal sur le plateau et ça a rendu notre collaboration fluide, efficace et fructueuse.



Qui sont vos cinéastes de prédilections et/ou qui vous inspirent ?

Pour moi, il ne s’agit pas strictement de cinéastes, j’adore le cinéma et j’ai une longue liste de films qui m’inspirent. De tête : Un héros d’Asghar Farhadi, Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly, La Fille aux allumettes d’Aki Kaurismäki, Close Up d’Abbas Kiarostami, Amour de Michael Haneke, Une affaire de famille d’Hirokazu Kore-Eda, Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman, Brokeback Mountain d’Ang Lee, Trois couleurs de Krzysztof Kieślowski, Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, Rashomon d’Akira Kurosawa, Chansons du deuxième étage de Roy Andersson, Volver de Pedro Almodovar… et la liste est encore plus longue. Ils sont tous différents, avec différentes couleurs, voix et tonalités, et c’est le cinéma qui m’inspire.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

J’ai toujours envie de découvrir de nouveaux films; J’ai été ravi de regarder Sans filtre de Ruben Östlund l’année dernière. Découvrir de nouveaux talents me passionne aussi ; cela apporte une vibration différente, ouvre de nouvelles portes avec une nouvelle vision et des perspectives narratives inédites. C’est comme le vert des feuilles d’arbres et sa fraicheur particulière, aux premiers jours du printemps.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 mai 2023. Un grand merci à Claire Viroulaud.

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