Critique : Tiger Stripes

Zaffan, 12 ans, vit dans une petite communauté rurale en Malaisie. En pleine puberté, elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante. Ses amies se détournent d’elles alors que l’école semble sous l’emprise de forces mystérieuses. Comme un tigre harcelé et délogé de son habitat, Zaffan décide de révéler sa vraie nature, sa fureur, sa rage et sa beauté.

Tiger Stripes
Malaisie, 2023
De Amanda Nell Eu

Durée : 1h35

Sortie : 13/03/2024

Note :

ET LE TIGRE EST EN TOI

Méfiez-vous des apparences : chez Amanda Nell Eu (lire notre entretien), un hôpital à moitié vide lors d’une nuit paisible peut être le théâtre d’événements inquiétants – comme dans son court métrage Vinegar Baths. De même, qu’est-ce qui se trame dans les toilettes pour filles d’un collège rural dans Tiger Stripes ? A priori pas grand chose, quelques jeux accompagnés de ricanements adolescents. Mais très vite les esprits s’emballent, et dans un monde (l’école, ou la société malaisienne) où les règlements semblent inflexibles, la moindre farce se retrouve punie de manière disproportionnée.

Pourtant, girls just wanna have fun et danser sur des vidéos TikTok. Les filles dans Tiger Stripes portent des couleurs pastel, elles sont insouciantes et collent des gommettes étoilées partout où elles le peuvent ; las, avec sévérité, on leur rappelle sans cesse où est leur place. Mais quelle est la place réservée aux adolescentes entamant leur puberté, vue par toutes et tous comme une mutation monstrueuse ? On raconte dans Tiger Stripes la légende urbaine de la fille aux règles surnaturelles, tandis qu’on enseigne la honte d’elles-mêmes aux jeunes filles. L’héroïne, Zaffan, 12 ans, est ostracisée par ses amies, son école, ses parents – mais jusqu’où ?

Dans notre précédent entretien, Amanda Nell Eu nous confiait : « J’ai toujours été fascinée par les récits d’horreur (…) et j’ai réalisé que certains de ces monstres n’étaient peut-être pas réellement méchants, qu’il s’agissait d’êtres essayant de vivre leur propre vérité ». C’est l’une des clefs de Tiger Stripes, où l’horreur n’a jamais pour vocation d’être terrorisante. L’horreur et l’humour restent liés chez la cinéaste et l’irruption du fantastique va de pair avec l’apparition du grotesque. C’est l’un des mélanges rafraichissants du long métrage, qui mêle drame social réaliste et généreux cinéma populaire.

A mesure que le film, à pas de tigre (et en n’évitant pas, de temps à autres, les répétitions), s’aventure et progresse dans le surnaturel, la lumière devient de plus en plus stylisée, comme si la mutation merveilleuse de Zaffan contaminait également l’image. La densité de l’environnement sonore, la musique dissonante et la place laissée à une nature luxuriante suggèrent la sauvagerie prête à bondir derrière la civilisation. En mêlant comédie adolescente et touches de body horror, Amanda Nell Eu compose un réjouissant récit d’émancipation. Les gens scrutent et scrutent encore ce qui, décidément, ne va pas chez Zaffan. Il n’y a pourtant rien à guérir mais dans ce monde, les choses sont ainsi : rien de plus effrayant qu’une jeune fille qui ne se laisse pas dompter.

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par Nicolas Bardot

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