Berlinale | Critique : Tzarevna Scaling

Polina dort mal parce qu’elle s’inquiète pour son frère. Un jour, une étrange vieille femme lui donne à boire un mystérieux thé qui transforme son sommeil en conte de fées. Dans une sorte de monde parallèle, Polina doit alors participer à un concours visant à déterminer si elle possède ou non ce qu’il faut pour devenir une Tzarevna, c’est à dire une fille de tsar.

Tzarevna Scaling
Russie, 2020
De Uldus Bakhtiozina

Durée : 1h10

Sortie : –

Note :

NOUVEAU LOOK POUR UNE NOUVELLE VIE

Employée dans une poissonnerie (en vrai : une simple baraque posée dans un coin du port), Polina n’a rien d’une fille de Tsar. Soucieuse de la santé de son frère, elle n’a d’ailleurs pas vraiment le loisir de se demander de quoi elle a l’air ou de soigner son apparence, et ce même si les boucles d’oreilles dorée de sa collègue font pétiller son regard d’envie. « La pensée positive débute par les atours » entend-on chuchoté en introduction du film. La promesse d’un nouveau look pour une nouvelle vie ? L’appétit de changement grandit encore en Polina lorsqu’une mystérieuse vieille dame, clocharde céleste tout droit sortie d’un grimoire, lui offre malicieusement un thé aux vertus magiques.

Tels les champignons que gobe Alice dans son pays des merveilles, tel un puissant hallucinogène, l’infusion magique projette alors la discrète Polina dans le plus fou et somptueux des mondes parallèles. Celui où elle pourra enfin devenir qui elle est vraiment. Partagée entre fascination et hébétude, Polina y croise des personnages saugrenus qui vont lui faire passer une série de tests fantastiques afin de savoir si elle ne possèderait pas en elle le plus merveilleux des trésor, qui la rendrait digne d’être elle aussi une fille de Tsar, la plus précieuse et enviée des créatures. C’est alors le film tout entier qui agit sur nous comme un philtre magique.

On dit de Polina qu’elle a un visage si quelconque qu’elle pourrait tout aussi bien ne pas avoir de visage? Peu importe, la voilà tombée dans le plus merveilleux des coffres à trésor. Le monde de Tzarevna Scaling, première réalisation de la photographe et portraitiste Uldus Bakhtiozina, est un incroyable orgasme de direction artistique, ainsi que le catalogue des costumes les plus flamboyants vus depuis depuis longtemps (signés par la réalisatrice elle-même). Coiffes et bijoux qui défient l’imagination, diamants jusque sur les dents, maquillages vertigineux, fanfreluches orgiaques… notre œil est en jouissance devant tant d’opulence, tandis que même la police des sous-titres est parée de raffinement. Le film pourrait s’arrêter là qu’il serait déjà un très précieux cadeau offert à notre regard. Mais au-delà de sa brièveté (1h10 pas plus) et de sa trame narrative fort simple, Tzarevna Scaling compose un ambitieux portrait, tableau par tableau.

Comme dans son travail photographique, la réalisatrice rend ici hommage à la foisonnante histoire de l’iconographie slave. Si ce conte de tsarines a un pied bien ancré dans le folklore classique, son autre pied se retrouve dans des formes artistiques tout à fait contemporaines, telles la photo de mode, le clip ou l’art vidéo (le bestiaire merveilleux et plus vraiment humain rappelle par instants Cremaster de Matthew Barney). Le film superpose différentes époques de l’Histoire de la Russie dans un charmant paradoxe, y rajoutant des éléments surnaturels et mythologiques sans qu’on puisse au final très bien distinguer le réel du fantasme. A-t-on alors raison d’y lire en filigrane un commentaire politique sur la manière dont l’histoire officielle, riche de mythes et de réécritures, est enseignée et transmise en Russie ? Plus directement, le film est avant tout un appel galvanisant à la réinvention de soi, une invitation rêveuse et joyeuse à retrouver le personnage mythologique qui sommeille en nous.

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par Gregory Coutaut

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