Festival de Karlovy Vary | Critique : The United States of America

Le réalisateur James Benning a sillonné les États-Unis, découpés en une série de plans fixes d’un peu moins de deux minutes : un pour chaque État, présentés par ordre alphabétique.

The United States of America
États-Unis, 2022
De James Benning

Durée : 1h38

Sortie : –

Note :

LA CARTE ET LE TERRITOIRE

En 1975, l’Américain James Benning co-réalisait avec sa compatriote Bette Gordon un court métrage intitulé The United States of America. Dans ce montage de 27 minutes, Benning et Gordon traversent les États-Unis en voiture, de New York à Los Angeles,  tandis que la caméra est posée sur la banquette arrière. Qu’est-ce que ce court dessine, autant esthétiquement que politiquement ? Presque 50 ans plus tard, James Benning en solo signe The United States of America nouvelle version, cette fois en long métrage. Dévoilé à la Berlinale et en compétition au Cinéma du Réel, ce film propose une autre traversée, alphabétique cette fois, de l’Alabama au Wyoming.

Le long métrage de Benning fonctionne sur le même principe à la fois ample (la carte d’un pays exploré de fond en comble) et minimaliste (des plans fixes de moins de 2 minutes par État). Comme dans son court, le cinéaste raconte sans dialogue : les voix qu’on entendra sont celles d’une radio au loin ou d’un discours, des roucoulades des Carpenters aux mots d’Eisenhower. Car si l’on regarde beaucoup dans The United States of America, on écoute tout autant, qu’il s’agisse d’un bourdonnement électrique ou du chant des oiseaux. Le film est avant tout une profonde et fascinante expérience sensorielle.

La dimension poétique de The United States of America vient en partie de sa dimension d’inventaire arbitraire : un État sera représenté par un lieu où des humains (invisibles, mais qu’on devine) peuvent vivre, il peut être suggéré aussi par un drapeau, parfois simplement par un nuage. Benning laisse une large place à l’imaginaire, de la même manière que le film convoque tout un imaginaire de cinéma : une ligne de train traversant un décor désertique, les rocheuses de l’Utah ou encore une station-service désossée qui semble avoir été visitée autrefois par de nombreux protagonistes de films noirs.

De neige en soleil, de rivière en tournesols, Benning réussit en creux à raconter une Amérique. Les radiotélescopes du Nouveau-Mexique ou les éoliennes ici ou là se dressent fièrement dans le ciel, mais on croise davantage de décors désenchantés dans le long métrage. Ce sont des usines qui paraissent en bout de course, c’est un paysage hanté du New Hampshire, ou même une rue de New York qui parait relativement vide. À l’image du travail de l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter, Benning semble prendre le pouls d’un monde épuisé dont on contemple les reliques et les fantômes. Les chevaux sont apathiques, le ciel est couvert. Et le cinéaste, avec grand talent, parvient à rendre émouvant un portail barbelé au coucher du soleil.


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par Nicolas Bardot

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