Festival de Karlovy Vary | Critique : Sonne

Pour s’amuser, trois amies (dont Yesmin, une jeune Autrichienne d’origine kurde) tournent un clip en portant une burqa. Les jeunes femmes atteignent un certain niveau de célébrité mais leurs opinions vont peu à peu diverger…

Sonne
Autriche, 2022
De Kurdwin Ayub

Durée : 1h27

Sortie : –

Note :

PORTRAIT DE GROUPE

« Yas queen », se crient joyeusement des jeunes femmes vêtues de burqas. Cette scène a priori improbable a pourtant la banalité des délires quotidiens adolescents. A l’abri des regards, Yesmin et ses deux amies font les andouilles dans sa chambre, twerkant et testant les filtres à selfies les plus ridicules. Elles se filment même faisant un lipsync sur Losing My Religion de REM. L’ironie du morceau choisi tient peut-être moins du titre de la chanson que de son anachronisme chez des ados d’aujourd’hui ? Premier film de la cinéaste autrichienne Kurdwin Ayub, Sonne est produit par l’expert en malice Ulrich Seidl. Quand la vidéo de leur reprise se retrouve par mégarde postée en ligne, on croit donc tout à fait savoir à quel ouragan s’attendre. On a tort.

Contre toute attente, la vidéo en question rencontre un vrai succès et beaucoup de bienveillance. Seule la mère de Yesmin râle un peu tandis que les trois jeunes camarades se retrouvent invités de sympathiques plateaux télés en fêtes privées, où elles reprennent « leur » tube dans des versions a cappella comme s’il s’agissait de la plus digne des prières. Tout va bien dans le meilleur des mondes ? Bien sûr que non. Quelque chose cloche, mais quoi ? Et si c’était tout simplement tout qui clochait, dans cette histoire ?

On pourrait penser que Sonne va parler de l’influence des réseaux sociaux sur la pensée collective. C’est le cas, mais pas seulement. On pourrait penser qu’il va parler d’intolérance religieuse. Oui, mais pas que. Il y a du tokénisme, de l’hypocrisie, mais pas que. On croit pouvoir anticiper le parcours de Yesmin et là encore, on est ravi que la suite nous donne tort. Sonne est comme ces gifs qui font semblant de zoomer sur les détails d’une carte ou d’un plan mais ne s’arrêtent jamais d’en révéler les détails, donnant l’illusion optique de pouvoir entièrement embrasser et définir les contours de ce que l’on voit.

Sonne possède une grande finesse d’écriture et traduit la complexité de son sujet à travers des mandalas de nuances. Maman est-elle exigeante ou tarée ? Papa est-il adorable ou irresponable ? Les copines de Yesmin sont elles politisées ou nunuches ? Cela a-t-il la moindre influence sur Yesmin, trop occupée à grandir en fuyant le paternalisme. Ce que Kurdwin Ayub démontre avec habileté, c’est que nul ne peut prétendre connaitre entièrement les personnes complexes derrière leurs filtres Instagram, leurs positions sociales, leurs rôles familiaux, leur burqa. Aux facilités des opinions en noir et blanc, Sonne préfère explorer de passionnantes zones d’ombres.

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par Gregory Coutaut

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