Festival de Rotterdam | Critique : Reise der Schatten

Un couple mène une vie ordonnée de manière obsessionnelle, avec un singe et une baudroie. Ils passent par les rituels quotidiens de la vie ensemble, comme la natation synchronisée, mais dorment séparément, jusqu’à ce que l’un d’eux décide qu’il est temps de mourir. Plein de remords et de culpabilité, l’autre part alors pour un voyage vers une île inconnue.

Reise der Schatten
Suisse, 2024
De Yves Netzhammer

Durée : 1h27

Sortie : –

Note :

AVANT QUE L’OMBRE

Par où débuter pour tenter de rendre justice à l’imprévisible voyage qu’est le film d’animation suisse Reise der Schatten (Voyage des ombres en français) ? Sans doute par son improbable style visuel. S’il s’agit là de son premier long métrage, le vidéaste suisse Yves Netzhammer a déjà signé un certain nombre de courts métrages, et tous obéissaient déjà à cette même esthétique minimaliste et étrange.

Dans cet ensemble d’images de synthèse intégralement générées par un logiciel d’architecture, tout n’est que volumes naïfs et géométrie dépouillée. Les décors ressemblent à des jouets rudimentaires tandis que les personnages ne sont que des silhouettes dénuées de traits du visage. Tels des bonhommes O’cedar, ils ne possèdent ni yeux ni bouche. Pourquoi d’ailleurs en auraient-ils besoin puisque Reise der Schatten est entièrement muet ? Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’a rien à dire.

Dans un premier temps, Reise der Schatten paraît se contenter de nous immerger sans but dans cet univers aseptisé et planant. On suit une paire de personnages et leurs animaux de compagnie alors qu’ils effectuent des chorégraphies impersonnelles et ce n’est qu’au bout d’une vingtaine de minutes que l’entêtante machine numérique se grippe. L’un des protagonistes meurt et l’autre se retrouve plongé dans une angoissante solitude. Sans que le style visuel ne change, les visions se font alors de plus en plus bizarres : un chimpanzé pleure et se masturbe dans sa cage, les corps humains se coupent et se tranchent, le sang se fait de plus en plus présent. Comme si un inconscient refoulé cherchait à refaire surface derrière tous ces traits inhumains sortis d’un ordinateur, comme si un cœur humain battait et hurlait derrière la machine.

Reise der Schatten n’a pas peur de pousser l’abstraction assez loin, et son récit de deuil conserve sa part d’énigme. Le tour de force de Netzhammer est de parvenir à rendre émouvant cet ensemble à priori dépourvu de chair et d’humanité. Il se dégage en effet de ce monde sans visages une poésie morbide de la solitude telle qu’on en a rarement vue ailleurs. Au fil de ses étonnants chapitres, Reise der Schatten évolue entre la fable amère et film d’horreur existentiel. Poignant en dépit des apparences, le résultat est tout simplement inclassable.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article