Critique : Blackbird, Blackberry

Ethéro tient une épicerie dans un petit village reculé en Géorgie. À 48 ans, cette femme indépendante et solitaire découvre tardivement l’amour et sa sexualité. Alors que cette passion nouvelle change sa façon d’envisager son avenir, elle doit faire face aux commérages des femmes de sa communauté et aux fantômes des figures patriarcales de sa famille.

Blackbird, Blackberry
2023, Géorgie
De Elene Naveriani

Durée : 1h50

Sortie : 13/12/2023

Note :

À CONTRE-COURANT

Blackbird, Blackberry, dévoilé lors de la dernière Quinzaine des Cinéastes à Cannes, s’ouvre par des images d’eaux très tumultueuses. Dans quelles eaux Ethéro, une femme approchant la cinquantaine, va-t-elle perdre pied, comme dans cette scène où l’héroïne chute d’une colline et s’imagine déjà morte ? Dans son second long métrage (adapté de Merle, merle, mûre de Tamta Melashvili qui vient d’être traduit chez Tropismes), Elene Naveriani raconte plutôt le parcours atypique d’une femme habituée visiblement depuis toujours à nager à contre-courant – et davantage encore aujourd’hui.

A différents moments du film, Ethéro doit presque se pincer pour savoir si elle est toujours vivante. Son entourage, comme ses voisines et fausses amies, semble déjà l’imaginer comme telle, et n’adressent à la célibataire sans enfants qu’une condescendance narquoise. Mais gare à Ethéro, héroïne singulière au visage impassible, incarnée avec un charisme magnétique par Eka Chavleishvili que Naveriani a déjà dirigée dans son précédent long Wet Sand et qu’on avait pu voir dans le récent A Room of My Own.

Son lieu à elle, Ethéro compte bien le trouver. Naveriani fait le portrait d’une femme qui n’obéit qu’à ses règles, choisissant selon ses désirs : la solitude, le sexe, un homme, ou pas, sans suivre ce que l’on aura dessiné pour elle. « Ton caractère t’éloigne du monde » lui dit-on – mais est-ce un mal ? Assiste t-on à l’éveil tardif d’Ethéro ou a-t-elle toujours été ainsi ? Ce récit d’émancipation déjoue, d’une certaine manière, les clichés attendus : Ethéro n’a pas attendu qu’on se penche sur son histoire pour être émancipée. Elle n’a pas à s’accomplir : elle est déjà accomplie.

La vie, pourtant, réserve ses surprises aléatoires. Ethéro placide observe la beauté qui l’entoure : les mûres, la brume, des oiseaux dans le ciel ou des kakis sous la neige. Le vert et or se détachent de la mise en scène stylisée mais aussi parfois un peu trop appliquée de Naveriani. Puis l’imprévu là encore : une chute, une rencontre, une surprise. Le dénouement conserve une précieuse ambigüité et ne nous donne pas de train d’avance sur Ethéro, ses sentiments, sa liberté et son intériorité.

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par Nicolas Bardot

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