Critique : Ouistreham

Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre.

Ouistreham
France, 2021
De Emmanuel Carrère

Durée : 1h46

Sortie : 12/01/2022

Note :

INCOGNITO

A l’origine de Ouistreham, il y a Le Quai de Ouistreham, essai de Florence Aubenas publié en 2010, dans lequel la journaliste racontait avoir endossé incognito et pendant plusieurs mois le rôle d’une femme de ménage sans formation, à la recherche d’un emploi. Écrit à la première personne, cette enquête relevait à la fois de la chronique sociologique et du récit autobiographique, la narratrice y était à la fois dans l’observation du réel et dans la mise en scène de soi. L’adapter au cinéma était de l’ordre du casse-tête ou de la fausse bonne idée (comment maintenir le bon point de vue, y compris éthiquement ?) , l’autrice a d’ailleurs refusé plusieurs précédents projets, et ce n’est sans doute pas un hasard si le film n’a finalement pas été adapté par quelqu’un qui n’est pas avant tout un cinéaste, mais par un auteur (choisi par Aubenas elle-même) : Emmanuel Carrère.

Ironie du calendrier, Ouistreham sort quelque part entre L’Événement et Retour à Reims, deux brillantes adaptations cinématographiques de célèbres essais français maniant le Je et le Eux, le regard sur soi et sur autrui. Ouistreham n’est pas toujours à la hauteur de l’ambition de ces deux réussites : la mise en scène en sourdine (comme si elle n’osait pas prendre le pas sur le sujet) n’aide pas toujours à décoller du pittoresque, mais parmi ces films, c’est aussi celui qui se permet le plus de liberté avec son matériau d’origine. Fiction ou documentaire, les deux exemples cités plus hauts utilisent dans le travail de transposition des outils immédiatement cinématographiques : le montage, l’inclusion d’images d’archives, le recours à une voix off, etc… Carrère utilise un moyen plus décalé : le casting.

Le Quai de Ouistreham parlait moins de Florence Aubenas que de celles et ceux qu’elle côtoyait. Carrère accentue cet aspect-là d’une part en privilégiant la bienveillance à la factualité cinglante d’origine (quitte à arrondir certains angles et rentrer un peu trop les griffes), et en offrant davantage de place à certains personnages, soulignant la sororité qui unit ces derniers à l’héroïne. Parmi les comédiens non professionnels, Hélène Lambert et Didier Pupin se distinguent d’ailleurs par leur charisme. Ouistreham parvient à être autant un film sur eux qu’un film… sur Juliette Binoche, reconnaissable comme la star qu’elle est mais surtout actrice audacieuse, sans maquillage ni garde-fou, souvent instigatrice ou à origine des films dans lesquels elle tourne (c’est d’ailleurs le cas ici) et qui pleure dans 100% de ses films (vérifiez !). Loin du caprice d’actrice qui s’amuserait à jouer à la pauvre le temps d’un film, c’est sa présence au cœur du casting (la meilleure idée du film), qui vient donner à Ouistreham son relief méta le plus intéressant.

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par Gregory Coutaut

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