Critique : L’Événement

Je me suis faite engrossée comme une pauvre. L’histoire d’Anne, très jeune femme qui décide d’avorter afin de finir ses études et d’échapper au destin social de sa famille prolétaire. L’histoire de la France en 1963, d’une société qui condamne le désir des femmes, et le sexe en général. Une histoire simple et dure retraçant le chemin de qui décide d’agir contre la loi. Anne a peu de temps devant elle, les examens approchent, son ventre s’arrondit…

L’Événement
France, 2021
De Audrey Diwan

Durée : 1h40

Sortie : 24/11/2021

Note :

REGARD PERÇANT

L’année dernière, la réalisatrice chinoise Chloé Zhao remportait le Lion d’or à Venise avec Nomadland, adaptation fictionnalisée de l’ouvrage socio-économique de Jessica Bruder. Cette année, c’est la Française Audrey Diwan (lire notre entretien) qui a remporté le même prix avec un film à l’entreprise pas si éloignée puisqu’il s’agit d’une adaptation en fiction du célèbre récit autobiographique d’Annie Ernaux. Transformer la réflexion en fiction ? L’affaire n’a rien de mince et un défi supplémentaire attendait Diwan au tournant : comment rendre compte de la plume si particulière d’Ernaux ? Comment retranscrire le vertige de ces paragraphes si brefs et factuels, mettant sur le même plan une honnêteté brutale et un regard sociologique aigu ?

Le notion de discrétion vient à plusieurs reprises à l’esprit devant L’Événement. Il y a bien sûr celle imposée à l’héroïne par la loi, par ses médecins, par ses amies, par la peur. Élève douée , Anne peut dire adieu à tout désir d’avenir. Elle risque la prison à avorter clandestinement, mais une autre geôle l’attend en tant que future mère-fille. Il y a aussi beaucoup de discrétion dans la fabrique du film, L’Événement démarre avec beaucoup de charme, d’élégance même. La lumière est douce, les couleurs presque pastels. L’escalade de terreur à venir n’en est que plus forte. La reconstitution historique est discrète, au point de se faire oublier. L’écho avec aujourd’hui (les droits d’accès à l’avortement son menacés un peu partout), n’en est que plus glaçant. Être discret ne veut pas dire s’excuser et L’Événement n’est certainement pas un film qui s’excuse.

Audrey Diwan fait preuve d’un excellent travail d’adaptation, ainsi que d’un excellent travail de cinéaste. Elle évite les larmes faciles et les éclats de voix, et pourtant son film est bouleversant. Malgré le décompte (discret aussi) des semaines de grossesse d’Anne, le film évite l’écueil de tourner au suspens de mauvais goût. Pourtant le film est si immersif que son intensité est parfois dure à voir (au festival turc d’Atanlya, où nous l’avons découvert, trois personnes se sont évanouies à des moments différents du film). Diwan ne met pas de guillemets autour de ce qu’elle et Ernaux racontent, mais elle parvient a recréer l’équilibre magique du livre : en contrebalançant la brutalité des faits par un regard féminin empathique. Un regard sidérant et pourtant invitant sur des choses que l’on croyait connaitre, mais qu’on découvre ici comme pour la première fois.

Surtout, l’horreur de certaines scènes n’est rien en comparaison de l’horreur (discrète aussi, décidément) de celles et surtout ceux qui voudraient pousser Anne à renoncer à son avortement, pour son propre bien, évidemment. Quelques dialogues se révèlent un peu trop explicatifs, mais ils restent peu nombreux. Diwan prouve à plusieurs reprises qu’elle n’en a de toute façon pas besoin pour donner pleinement chair à  l’indépendance, la solitude ou la bonté, pour dépeindre la liberté dont jouisse les hommes, l’indifférence que celle-ci leur confère, leur absence de remords à se mêler du corps des femmes, souvent au sens propre. Interprétée avec un charisme magnétique par Anamaria Vartolomei (qui est littéralement au cœur de chaque plan), Anne est une passionnante héroïne qui conjugue le verbe agir. Bouleversant, le film donne autant à ressentir son calvaire que son élan contagieux vers l’avenir.

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par Gregory Coutaut

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