Critique : Retour à Reims (Fragments)

A travers le texte de Didier Eribon interprété par Adèle Haenel, Retour à Reims [Fragments] raconte en archives une histoire intime et politique du monde ouvrier français du début des années 50 à aujourd’hui.

Retour à Reims (fragments)
France, 2021
De Jean-Gabriel Périot

Durée : 1h23

Sortie : 30/03/2022

Note :

GÉNÉRATIONS DÉSENCHANTÉES

A l’origine du nouveau film de Jean-Gabriel Périot (lire notre entretien), il y a Retour à Reims, l’ouvrage autobiographique de Didier Eribon paru en 2009. Dans ce qu’il décrivait alors comme une « auto-analyse », le sociologue racontait le vécu de sa famille sur trois générations pour s’interroger sur l’histoire contemporaine des classes sociales défavorisées. Il y avait une difficulté de taille, presque une absurdité, à chercher le moyen judicieux d’adapter un tel ouvrage. Difficulté de superposer sa voix à celle, autobiographique, de l’auteur, mais aussi de rendre justice à l’ampleur des changements d’échelles entre l’intime et le collectif, le privé et le politique.

Cinéaste habitué à interroger brillamment les archives et les mémoires, Jean-Gabriel Périot s’en tire avec un très grand succès, en utilisant une technique qu’il a déjà utilisée à plusieurs reprises (Une jeunesse allemande, Nos défaites, etc…) : l’utilisation exclusive d’images d’archives. Si le texte, ou du moins une sélection d’extraits, est bien présent dans le film, lu en off par Adèle Haenel, le montage d’images ne se contente pas de venir l’illustrer. L’image a au moins autant son mot à dire dans la naissance et la puissance du film. Et ce que l’image a à nous dire, elle le montre haut et fort.

Le cinéaste, l’auteur et l’actrice sont tous invisibles à l’écran. Seuls s’offrent à nos yeux ce kaléidoscope d’images audiovisuelles, produites par le cinéma ou la télévision. Marker, Godard ou Pialat y côtoient des reportages documentaires, classés thématiquement et chronologiquement. Ce coffre à images peut rappeler au passage l’abécédaire intime de Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais, mais la démarche de Périot est différente. Au double récit d’origine (l’histoire familiale et l’histoire politique), il ajoute ici un troisième axe de lecture parallèle : l’histoire de la manière dont la France a représenté la classe ouvrière au fil des décennies. Une histoire des images qui informent, qui témoignent, qui caricaturent ou qui disparaissent.

Le tour de force de Retour à Reims (fragments) est d’être un film aux narrateurs multiples, on pourrait presque dire un film à trois voix (Périot, Eribon et Haenel – soit trois voix politiques et queers), mais de demeurer étonnamment homogène et cohérent, fluide et accessible. Mieux : voilà un film particulièrement immersif. Sociologiquement, le film dresse un constat dur : le goût du semi-échec est à la fois collectif (pourquoi les classes défavorisées sont-elles passées du vote communiste au vote frontiste ?) et personnel (que de passages amers sur la résignation à la réalité politique et aux « forces irrépressibles de l’ordre social »). Périot poursuit néanmoins son travail personnel d’adaptation en allant plus loin (dans le temps) que sa source, en montrant des images de révoltes très contemporaines. Des images puissantes, portées par une saine colère et un espoir contagieux. D’implacable, Retour à Reims (fragments) devient alors galvanisant.

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par Gregory Coutaut

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