Critique : L’Infirmière

Ichiko est infirmière à domicile. Elle travaille au sein d’une famille qui la considère depuis toujours comme un membre à part entière. Mais lorsque la cadette de la famille disparaît, Ichiko se trouve suspectée de complicité d’enlèvement. En retraçant la chaîne des événements, un trouble grandit : est-elle coupable ? Qui est-elle vraiment ?

L’Infirmière
Japon, 2019
De Koji Fukada

Durée : 1h51

Sortie : 05/08/2020 (25/08/2021 – reprise)

Note :

DAMNATION

Le Japonais Koji Fukada est l’un des principaux jeunes talents japonais à avoir émergé ces dernières années. C’est un talent d’autant plus précieux qu’il a su s’exprimer dans des genres extrêmement différents, qu’il s’agisse de l’animation expérimentale (La Grenadière) ou le mélodrame familial (Harmonium), le récit d’apprentissage (Au-revoir l’été) ou la SF apocalyptique (Sayonara), la comédie grinçante (Hospitalité) ou ici le drame noir (L’Infirmière). En creux, se dessine un malaise dans une organisation sociétale qui semble parfaite en apparence, comme les familles d’Hospitalité et Harmonium ou celle de L’Infirmière qui semble traiter l’héroïne employée comme une membre de la famille. Qu’est-ce qui se fissure et quand tout cela va t-il craquer ?

D’abord un peu confus, L’Infirmière est un redoutable slowburner qui est justement suspendu à ce qui va craquer. Le film de Fukada, après l’enlèvement d’une jeune fille, semble d’abord s’inscrire dans les codes du polar, mais la résolution arrive assez vite : le long métrage est-il déjà achevé ? Au contraire. La structure de L’Infirmière et sa façon de créer le suspens sont particulières. Il y a ici une remarquable tension hallucinatoire, les mauvais rêves et les illusions s’invitent sans qu’on ne les identifie immédiatement. L’eau bout et pourrait bien brûler tout le monde, à commencer par l’héroïne.

Incarnée par l’excellente Mariko Tsutsui (qu’on a déjà vue chez Takeshi Kitano, Sono Sion et que Fukada a déjà dirigée dans Harmonium), celle-ci n’est pas réduite à la fonction de victime sacrifiée. Elle et Fukada composent un personnage ambigu et nuancé, dans un film qui chérit l’ambigüité morale. Il y a quelque chose d’imprévisible, de sauvage et d’intranquille dans L’Infirmière comme dans sa protagoniste, et cette incertitude est un vrai trésor de cinéma. Aux confortables formules du mélodrame, Fukada préfère le malaise et les questionnements.

On trouve beaucoup de silence dans L’Infimière, et pourtant on peut y briser un personnage sans bruit. Fukada observe la noirceur d’une société où la bienséance est un vernis sur lequel il est aisé de passer du dissolvant. La bascule glaciale et sans mélo de L’Infirmière est terrible et poignante, précisément parce que sa sécheresse ne vient pas chercher l’émotion. Le film est un voyage complexe dont les bascules et décrochages sont les marques d’un très grand talent de narrateur. Et certains moments sont inoubliables – comme cette scène à couper le souffle aux abords d’un passage piéton, où la raison est au bord de la folie. Mais quand tout cela va t-il craquer ?

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par Nicolas Bardot

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