Critique : Nomadland

Après l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle. De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.

Nomadland
États-Unis, 2020
De Chloé Zhao

Durée : 1h48

Sortie : 09/06/2021

Note :

TERRE ET CENDRES

Nomadland est adapté de l’essai signé par l’Américaine Jessica Bruder, qui délivre une enquête sur des Américains jetés de leur maison par la pauvreté. Ils se retrouvent ainsi à vivre dans des caravanes près de hangars Amazon ou d’exploitations saisonnières où ils travaillent. Ce formidable livre est d’une tristesse terrible mais il est aussi vivant et nuancé. Transposition semi-fictionnelle, mêlant acteurs professionnels et amateurs, Nomadland par Chloé Zhao réussit le même tour de force. Le film expose une effrayante précarité, l’histoire de personnes qui auront travaillé toute une vie pour gagner quelques centaines de dollars de retraite, de villes qui peuvent bien disparaître lorsqu’une usine est balayée. Zhao ne détourne pas les yeux, mais ne fait pas de son film du poverty porn pour autant.

Nomadland s’ouvre par une succession de scènes courtes. Par la qualité de son écriture minimaliste et de sa mise en scène expressive, Zhao installe en quelques touches ses personnages et son histoire. Le film, à vrai dire, n’a guère besoin de péripéties spectaculaires, cette situation de survie se suffit à elle-même. Survivre dans ce décor déclinant d’Americana, voilà qui est commun aux histoires racontées par Zhao depuis ses premiers longs métrages. On retrouve une narration par la mise en scène proche de ce qu’elle avait accompli sur Les Chansons que mes frères m’ont apprises et The Rider, mais avec des figures moins archétypales, moins figées. Des personnages qu’on ne voit habituellement pas, ou peu. Qui parlent à Frances McDormand comme ils s’adresseraient directement au public – et ce sont peut-être les moments les plus émouvants du long métrage.

Si le monstre tentaculaire que représente Amazon était assez central dans le livre de Bruder, Zhao s’éloigne finalement plutôt des hangars et déplace quelque peu sa réflexion. C’est une piste déjà présente dans le livre et dans laquelle la cinéaste s’engage : la peinture d’un système cassé et d’un capitalisme malade. C’est un portrait socio-politique d’une certaine Amérique crépusculaire, mais c’est aussi un portrait intime et émotionnel. Les personnages dans Nomadland sont souvent filmés dans une nature impressionnante, comme une trace parmi les éléments. On ne perd jamais de vue l’horizon, et le soleil semble perpétuellement sur le point de se coucher. Mais ce soleil ne disparaît pas et c’est cette pulsion de vie que la cinéaste observe.

Ces superbes couchers de soleil roses et oranges pourraient flirter avec la carte postale mais le film refuse plutôt la romantisation. Et si Nomadland peut décrire des destins brisés, le long métrage s’interroge assez finement sur le sens que prennent ces vies – un sens dirons-nous propre et figuré, sur les routes ou dans les cœurs. Est-on sans abri quand on est sans maison ? Quel rapport inédit à la nature, à la liberté ? Quelle est notre place sur Terre ou même dans le cosmos ?

Le film ne tourne heureusement pas au récit de développement personnel new age. Vivre cette précarité, c’est accepter n’importe quel travail, savoir faire des frites ou récurer des chiottes, être vu comme une anomalie, ne plus avoir d’attache comme une maison emplie de souvenirs. Mais, pour citer un genre très américain, il y a dans Nomadland cette qualité de lyrisme dramatique propre au nature writing, cette émotion de l’espace qui nous saisit, quelque chose d’intime, majestueux, profondément humain.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article