Critique : Jet Lag

Début 2020, l’épidémie de covid-19 immobilise brutalement la réalisatrice et sa petite amie Zoé dans une chambre d’hôtel en Autriche. Alors qu’elle observe les rares passants sous ses fenêtres, Xinyuan se remémore progressivement un voyage à Mandalay qu’elle fit avec sa grand-mère au printemps 2018 pour assister au mariage d’un parent. En 2021, le coup d’État qui s’installe les militaires à la tête du Myanmar devient subitement très proche. Le film n’a de cesse de faire des allers-retours entre l’ici et l’ailleurs, entre l’intime et l’Histoire, entre le souvenir et le présent.

Jet Lag
Suisse / Autriche / Chine, 2022
De Zheng Lu Xinyuan

Durée : 1h51

Sortie : 22/02/2023

Note :

ET LA-BAS, QUELLE HEURE EST-IL ?

La cinéaste chinoise Zheng Lu Xinyuan s’est fait remarquer il y a deux ans en remportant le premier prix du Festival de Rotterdam avec son tout premier film, The Cloud in Her Room (sorti il y a quelques mois en France), dans lequel elle prouvait déjà qu’elle n’avait pas peur de faire des choix esthétiques forts. C’est à nouveau le cas ici, même si cela pourrait ressembler à un paradoxe puisque prises une à une, les images de Jet Lag ont l’air d’avoir été piochées dans les sources les plus banales : des extraits de vidéos de vacances familiales, des images anonymes prises sur internet. Ces illustrations intimes sont là comme pour coller au plus près du ressenti de la réalisatrice. Lors d’une séquence, on la voit filmer son père en lui collant presque le téléphone sous le nez.

Pourtant Jet Lag n’a pas grand chose à faire du réalisme (et pas seulement parce que toutes ces images, indépendamment de leurs sources, sont ici rendues à travers un filtre noir et blanc à gros grain), on serait même plutôt en plein courant de conscience onirique. Quel est ce mystérieux décalage horaire qu’annonce le titre ? C’est, au sens propre, celui de la réalisatrice/narratrice coincée en Autriche au moment de l’annonce du confinement, et qui peine à trouver un vol vers la Chine sur l’écran fêlé de son téléphone. Ce voyage est réminiscent d’un autre, plus ancien. Celui de son arrière-grand-père disparu au Myanmar sans explication, et dont la disparition plane encore sur toute la famille.

Les proches de la réalisatrice lui font bien comprendre que l’important dans la vie, c’est d’assumer le rôle qu’on a dans la famille : être une bonne fille, une bonne future épouse pour sa petite amie. Mais face à la violence de cette absence, ces dogmes n’ont plus l’air que de règles absurdes et arbitraires, un labyrinthe généalogique. En composant un mosaïque poétique, parfois bien confuse mais souvent sensible (un chat coincé sous un meuble, des visites virtuelles d’immenses bâtiments vides), Zheng Lu Xinyuan donne chair à se sentiment de n’être nulle part à sa place. En reliant les continents, les époques et les natures d’images, en superposant ces récits de personnes qui ne sont pas là où elles devraient être, Jet Lag dépasse ses austères apparences pour toucher quelque chose de très intime.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article