A voir en ligne | Critique : Mutzenbacher

Une audition pour des hommes âgés de 16 à 99 ans. Il n’y a ni accessoires ni maquillage, juste de l’improvisation pure. La seule chose requise : accepter de lire et analyser des mots écrits sur une page. Ce n’est pas un mince défi, puisque le texte en question est le roman scandaleux publié anonymement en 1906 « Josefine Mutzenbacher ». 

Mutzenbacher
Autriche, 2022
De Ruth Beckermann

Durée : 1h40

Sortie : 16/02/2023 (sur Mubi)

Note :

FALLAIT LIRE ENTRE MES LIGNES

A l’origine du nouveau film de la documentariste autrichienne Ruth Beckermann (L’Affaire Waldheim, prix du meilleur documentaire à Berlin en 2018), il y a Josefine Mutzenbacher : Histoire d’une fille de Vienne racontée par elle-même. Œuvre charnière de la littérature pornographique, ce roman autrichien publié anonymement en 1906 (avant d’être par la suite attribué à l’écrivain Felix Salten, l’auteur de… Bambi) raconte les confessions d’une prostituée mineure. L’âge de la protagoniste imaginaire (à peine douze ans au début du roman) explique avec évidence que le livre soit demeuré interdit pendant de nombreuses années, et qu’il charrie encore aujourd’hui énormément de controverses légitimes. Mais bien qu’il lui donne son titre, l’ouvrage (son éventuelle réhabilitation ou sa condamnation) n’est pas le sujet de Mutzenbacher.

Le dispositif de mise en scène de Beckermann est d’une grande limpidité. Dans un décor minimaliste propices aux répétitions théâtrales (un hangar aux murs bruts et nus), un grands canapé rose est installé. Un « sofa érotique », comme le qualifie l’un des intervenants. Un authentique divan de thérapeute, pense-t-on plutôt. A l’instar de nombre de ses compatriotes (on pense à Ulrich Seil, doublement présent à la Berlinale en tant que réalisateur et producteur), la réalisatrice possède le chic pour révéler l’inconscient de ses contemporains. Face à la caméra, des hommes de tous âges et tous profils ont été invités à lire chacun à leur tour des passages de l’ouvrage en question, à les chanter ou les mimer également, selon leurs désirs. Ce qui intéresse Beckermann n’est alors pas tant dans le texte qu’entre les lignes.

L’une des phrases récurrentes du roman, pas avares en fillettes perverses et en tabous brisés, est « tu ne diras rien, pas vrai ? ». L’ironie est tellement superbe qu’elle n’a pas besoin d’être soulignée : car les hommes de Ruth ont évidemment envie de tout dire, y compris ce qu’on ne leur a peut-être jamais demandé auparavant. Ce que les exercices de lecture dévoilent en premier lieu, c’est une gêne. Un embarras face à des mots particulièrement crus derrière les tournures littéraires, mais aussi face aux désirs qui remontent inopinément à la surface. A la question sincère et curieuse « pourquoi cette scène est-elle excitante ? », l’un des gaillards interrogés n’a rien d’autre à répondre que ses joues cramoisies. 

Les doigts tremblent, les voix chevrotent, mais Beckermann est une intervieweuse trop fine pour se faire juge. Invisible à l’écran, elle a à peine besoin de questions pour libérer la parole masculine. Mutzenbacher pourrait se contenter d’être une collection de portraits et de fantasmes (un papa évoque son désir de jouer le rôle de la baby prostituée en question !), et ce serait déjà une entreprise intéressante, mais la réalisatrice rajoute (en prenant certes son temps) un niveau de lecture supplémentaire. Sous son montage, les points de vue masculin s’enchainent et s’enrichissent jusqu’à se contredire, à tel point que quand ils répètent en groupe, on dirait des garçonnets incapables de s’accorder. Le résultat est mordant dans sa manière de dévoiler la fanfaronnerie inoffensive de ceux qui croient pouvoir analyser tout d’eux-mêmes, mais il y aussi quelque chose de poignant et empathique dans ce portrait collectif d’hommes désarmés face à ce qu’il y a de plus universel et intime à la fois : la sexualité.


>> Mutzenbacher est disponible dès le 16 février sur Mubi

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par Gregory Coutaut

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