Premiers Plans d’Angers | Critique : Three Minutes – A Lengthening

Three Minutes – A Lengthening montre un film court tourné par David Kurtz en 1938 dans une ville juive de Pologne et tente de reporter sa fin. Tant que nous le regardons, l’Histoire n’est pas encore terminée.

Three Minutes – A Lengthening
Pays-Bas, 2021
De Bianca Stigter

Durée : 1h09

Sortie : –

Note :

SANS ADIEUX

A l’origine de ce film signé de la réalisatrice (mais également critique et productrice) néerlandaise Bianca Stigter, il y a en réalité un film réalisé par quelqu’un d’autre : une poignée d’images tournées en 1938 dans un village polonais par l’Américain David Kurtz alors qu’il traverse l’Europe. Sur ces images aux couleurs fanées, rien d’exceptionnel a priori : des visages souriant nous saluent, et l’on se rassemble sur la place du village pour voir l’étranger et sa caméra. Un film de vacances comme un autre, si ce n’est que la Seconde Guerre Mondiale est à la porte. Quelques mois plus tard il ne restait déjà plus aucun survivant parmi les villageois juifs qui nous accueillaient à l’écran. Ces images ne furent redécouvertes qu’en 2009.

Le film de David Kurtz dure trois minutes seulement. Le film de Bianca Stitger en dure quant à lui 69. Pourtant, tout au long de Three Minutes – A Lengthening, nous ne verrons rien d’autre que ces trois minutes là. Des images répétées, ralenties, accélérées mais aussi recadrées, désaturées, disséquées. Bianca Stitger retarde la fin du film de Kurz comme pour mieux retarder l’arrivée inéluctable de l’Histoire et de la mort. Même lorsque l’image parait se figer, elle n’est en réalité qu’extrêmement ralentie.Tant que les images défilent, ces personnes sont encore vivantes et présentes avec nous.

Avec pour seul accompagnement la voix off d’Helena Bonham Carter, Stigter opère une série de micro-enquêtes sur des détails insoupçonnés, elle analyse des couleurs, des visages, des objets, pour redonner chair à l’identité des gens que nous voyons. A chaque visionnage, ces trois minutes deviennent de plus en plus riches et profondes, comme si le passé n’arrêtait pas de nous parler. Vertigineux, le résultat s’approche du terrain de l’art vidéo (le film est d’ailleurs produit par Steve McQueen), sans pour autant transformer son sujet en prétexte formaliste. Cette enquête poignante offre au contraire un compagnon tout aussi poignant et passionnant au documentaire français A Pas aveugles, dévoile à en début d’année à la Berlinale. Ici aussi, c’est le travail (on pourrait presque dire l’expérimentation) sur l’image d’archive qui redonne vie et parole aux disparus, et qui fait acte de résistance.

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par Gregory Coutaut

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