Festival de La Roche-Sur-Yon | Entretien avec Charlotte Serrand

Coup d’envoi ce lundi du Festival de La Roche-Sur-Yon ! Charlotte Serrand, sa directrice artistique, nous parle des temps forts de cette 13e édition qui sera à suivre tous ces prochains jours sur Le Polyester.


Quel bilan as-tu tiré de l’édition 2021, qui était en quelque sorte un « retour à la normale » par rapport à 2020 avec une jauge pleine ?

Si on considère que la « normale » désigne les conditions d’accès en salle, en 2021 il y avait certes une jauge pleine mais il y avait aussi l’obligation de présenter le passe sanitaire qui a eu un impact important sur la fréquentation. Le bilan était néanmoins très positif avec environ 25.000 spectateur.rices, soit la troisième meilleure édition du Festival en termes de fréquentation (et déjà en 2020 malgré les jauges à 50% la fréquentation avait été très bonne étant données les conditions avec environ 20.000 spectateur.rices).

2021 était une édition joyeuse, généreuse, et très collective, avec de nombreux et nombreuses invité.es : Judith Chemla, Régis Roinsard, Adèle Exarchopoulos, Olivier Afonso, Jessica Beshir, Abel Ferrara, Tom Mercier… En 2021 (comme en 2020), la formule du Festival est demeurée inchangée avec le même nombre de films, en première française ou en avant-première. Nous avons gardé le cap.


Les Banshees d’Inisherin

La compétition internationale présente aussi bien des jeunes talents (avec des révélations fortes comme Astrakan ou Foudre) que des noms déjà plus identifiés comme Lav Diaz, un cinéaste oscarisé comme Martin McDonagh. Comment trouves-tu la bonne alchimie entre la pure découverte et le suivi de certains cinéastes ?

Il ne s’agit pas de simple suivi. Le nouveau film de Martin McDonagh est très différent de 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance que nous avions en effet présenté au Festival en 2017 dans les séances spéciales. Les Banshees d’Inisherin est un film d’un genre nouveau, inattendu, qui oscille entre le surréalisme, l’absurde, le mythologique, le contemporain. C’est une bouleversante et retournante expérience de cinéma. Le film de Lav Diaz, dont nous avions présenté From What is Before en 2014 et Genus, Pan en 2020, aussi dans les Séances Spéciales, est peut-être son film le plus accessible. Quant à Astrakan ou Foudre, il s’agit de premiers longs métrages.

Chacun des films de la Compétition Internationale propose une expérience singulière de cinéma contemporain. Je ne fais pas de hiérarchie. Bien sûr il y a un équilibre à trouver, aussi avec les enjeux qui sont propres au Festival. Mais ce sont les films qui parlent avant tout et généralement cela s’impose vraiment comme une évidence.


Showing Up

Est-ce que tu peux nous parler de la création des deux nouvelles sections cette année que sont Music Hall et Continuités ?

Je considère les sections avant tout comme des chemins, comme des cartes artistiques, permettant de guider les spectateur.rices, sans faire aucune hiérarchie entres elles.

Mais en ce qui concerne plus précisément Continuités, je tenais à continuer à soutenir le travail de cinéastes venus à La Roche-sur-Yon par le passé, malgré le fait que leurs nouveaux films aient été présentés à Cannes cette année, empêchant à priori leur sélection puisque le Festival repose avant tout sur des films en première française. Une entorse à notre propre règlement ! On y trouve les nouveaux films de Kelly Reichardt (Showing Up), Nicolas Pariser (Le Parfum vert), Valeria Bruni Tedeschi (Les Amandiers), Thomas Salvador (La Montagne), Pietro Marcello (L’Envol).

Je pense notamment à Kelly Reichardt, à qui nous avions dédié une rétrospective en 2013 en sa présence, ou à son film Certain Women qui devait sortir en DVD et VOD mais qui a finalement trouvé un distributeur et le chemin des salles grâce à l’exposition organisée au Festival en 2016 et à l’article qu’en avait fait Le Monde, qui était présent. Ou à Pietro Marcello, qui avait remporté le Grand Prix du Jury Ciné+ avec Bella e Perduta présenté dans la Compétition Internationale en 2015. C’est donc tout naturellement que je souhaitais continuer à soutenir des cinéastes que nous admirons et que nous avons beaucoup soutenu par le passé.

Anonymous Club

Pour Music Hall, il s’agit de films présentés en première française dont le point commun est d’entretenir une relation particulière à la musique mais qui sont aussi et avant tout de véritables expériences de cinéma avec une écriture éminemment contemporaine.

On pourra notamment découvrir Anonymous Club de Danny Cohen, sur la chanteuse australienne Courtney Barnett, qui est loin du biopic traditionnel et qui propose un mélange émouvant entre journal intime mélancolique et road movie, filmé dans un 16mm sublime, et qui repose sur le processus de création de la chanteuse. Le réalisateur a confié à Courtney un petit magnétophone dans lequel elle a enregistré pendant trois ans ses pensées et ses notes, ces enregistrements servant ensuite de bases à ses textes, et il a pu la suivre dans ses tournées comme dans sa vie quotidienne. C’est un film qui plaira autant aux fans de Courtney Barnett qu’à celles et ceux qui ne la connaissent pas encore.

Ou Miúcha, The Voice of Bossa Nova de Daniel Zarvos et Liliane Mutti (qui seront présents au Festival), et qui rend justice à la chanteuse longtemps cataloguée comme « femme de » Joao Gilberto. Tout le projet du film vise à restituer son histoire, son apport fondamental dans la musique, lui redonner son nom propre, en s’appuyant sur de nombreux documents dont ses propres aquarelles qui ont été animées spécialement pour le film. C’est aussi en écho avec le concert de Vitalic qui aura lieu le samedi 22 octobre soir au Quai M, la superbe nouvelle salle de musiques actuelles, ou la présence du guitariste Thibault Cauvin le mardi soir, dans le cadre d’une carte blanche donnée au Grand R (Scène Nationale).


Cette année l’exposition au festival est dédiée à Alberto Mielgo. Quel a été le point de départ de ce projet et comment nous présenterais-tu cette exposition ?

J’ai rencontré Alberto Mielgo à la Quinzaine des Réalisateurs en 2021, où son court métrage The Windshield Wiper avait été sélectionné, et pour lequel il a reçu cette année l’Oscar du meilleur court métrage d’animation. J’étais déjà fascinée par ce film qui réunit tous les arts, et j’ai ensuite continué à explorer son travail, par curiosité. Progressivement l’envie m’est venue de lui proposer cet espace et surtout de permettre au public de découvrir son processus de création. C’est un inventeur, un explorateur, face à son travail j’ai l’impression d’être en pleine période des « Grandes Découvertes » mais dans le domaine de cinéma et de l’animation. Alberto Mielgo réalise ses films avec les yeux d’un peintre impressionniste et emprunte les outils du septième art qu’il pousse à leur paroxysme et dans leur utilisation la plus éminemment contemporaine.

À travers sa technique qui mêle recherche documentaire et technologies de pointe, bande dessinée et collaboration avec des chorégraphes, il compose de véritables tableaux vivants qui sont autant d’épopées urbaines ou historiques qui redéfinissent la notion de héros, avec une touche mélancolique profondément contemporaine. Il est avant tout un cinéphile, et il a grandi avec les films d’Éric Rohmer, de Bergman que lui montrait sa grande sœur.

Je me réjouis qu’il soit présent au Festival pour le vernissage de l’exposition mais aussi pour la présentation de ses films. En effet, en écho à l’exposition, j’ai tenu à présenter en salle tous ses films dans un programme de courts métrages d’une heure environ, en entrée libre, avec notamment Le Témoin et Jibaro, qu’il a réalisés pour la série Netflix Love, Death and Robots, et qui sera une expérience collective forte. Il intitulait ses premiers courts qui n’étaient diffusés qu’en ligne ou sur son site modestement « a little film for a little screen », à cette occasion on pourrait dire à présent « a big film for a big screen » !

Cette exposition a lieu en collaboration avec le musée de La Roche-sur-Yon, collaboration qui est d’une grande richesse car elle permet de prolonger les registres des images et d’élargir encore plus le spectre du cinéma contemporain, de sortir de la salle et tout en y revenant. Après les expositions consacrées à David O’Reilly, Meat Dept, Antonio Ligabue, Lorenzo Mattotti, je tenais absolument à continuer à faire de cet espace un véritable laboratoire des images en mouvement, au cœur du Festival. L’exposition sera ouverte jusqu’au 19 novembre, en entrée libre.


Cow

L’une des invitées d’honneur du Festival est Andrea Arnold, qui est un des plus grands noms du cinéma contemporain. Qu’est-ce que cette cinéaste représente pour toi ?

La vie ! La rencontre entre la réalité et une poésie très brute, qui se traduit souvent dans son cinéma par le rapport qu’elle entretient avec le documentaire et la fiction. J’ai rencontré Andrea Arnold dans le jury du Festival d’IDFA l’année dernière. Revoir son nouveau film Cow en salle en grand, au Pathé Tuschinski, a été l’élément déclencheur de cette invitation ainsi que notre rencontre.

À l’occasion de la sortie de Cow en novembre, une expérience puissante dans laquelle elle filme une vache comme un être humain à part entière, j’ai eu envie de célébrer ce rapport extrêmement puissant qu’elle entretient avec différents genres du cinéma et qui se situe aussi au cœur du projet du Festival. C’était l’occasion de présenter tous ses films, incluant ses premiers courts métrages, et de permettre au public de la découvrir plus longuement lors d’une rencontre.


La Maman et la Putain

Est-ce que tu peux me dire quelques mots sur le focus Françoise Lebrun qui j’imagine est une actrice qui te tient à cœur ?

Oui, aussi car j’ai eu l’opportunité de travailler avec elle en 2014 sur un film où elle jouait le rôle de Pénélope âgée, qui attendait encore Ulysse, mais qui transmettait aussi à d’autres femmes son expérience en leur permettant de s’émanciper. Elle possède une incroyable force d’attraction, qui est à la fois un point d’ancrage et un point de départ. C’est à cette occasion que j’ai aussi découvert son film en tant que réalisatrice Crazy Quilt (2011) qui tisse et croise des récits épistolaires entre la France et la Grande-Bretagne.

J’attendais un peu une occasion de présenter son film en festival, et avec la restauration de La Maman et la Putain de Jean Eustache cette année, c’était tout trouvé : j’ai eu envie de saluer son parcours non seulement en tant qu’actrice, mais aussi en tant que réalisatrice, et productrice ! C’est elle qui a produit Le Cochon de Jean Eustache. Elle avait hypothéqué sa maison pour que le film puisse se faire ! Ce sera probablement une des dernières projections du film en 16mm, avant qu’il ne soit également restauré et ressorte en DCP, et cela faisait également longtemps que je désirais le présenter au Festival. Françoise incarne la réunion et la communion des temps avec une grande modernité et générosité.

On parle beaucoup des effets post-covid sur les salles et leur fréquentation. A tes yeux, quel rôle un festival de cinéma doit jouer aujourd’hui en termes de désir, d’envie de découverte ?

Un Festival de cinéma c’est aussi un point de départ : il y a des conséquences sur les sorties des films à venir, en termes de communication et de fréquentation. Il y a un bouche-à-oreille qui se crée. J’espère que cette édition portera du mieux possible les films que nous présentons et sera un véritable tremplin au moment des sorties, comme cela a souvent été le cas. Pour l’instant il y a déjà une très belle effervescence et la billetterie bat son plein.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 17 octobre 2022.

| Suivez Le Polyester sur TwitterFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article