Critique : Astrakan

Samuel est un orphelin de douze ans à l’allure sauvage, placé depuis quelques semaines chez une nourrice, Marie. Cette dernière, qui se débat entre ses sentiments et son besoin d’argent, est mariée à Clément avec qui elle a deux fils, Alexis et Dimitri. Très vite, Samuel va devoir faire la connaissance de cette nouvelle famille et de leurs secrets.

Astrakan
France, 2022
De David Depesseville

Durée : 1h44

Sortie : 08/02/2023

Note :

LE SILENCE DES AGNEAUX

L’astrakan désigne la sombre fourrure d’agneaux d’Asie centrale – des agneaux qui parfois sont morts-nés. C’est aussi le titre du premier long métrage réalisé par le Français David Depesseville (lire notre entretien), dont la métaphore animale semble assez nette. Le film, heureusement, laisse une large place au mystère, aux ellipses et à l’étrangeté. La tension singulière dans Astrakan peut naître de la mise en scène : ce sont parfois des plans très brefs (une main fait un signe de croix sur le pain) ou des cadrages qui s’attardent sur des parties inattendues du corps des acteurs. L’observation des règles, des habitudes et des rituels crée un malaise électrique.

Dans un coin perdu de Bourgogne, David Depesseville raconte le quotidien de Samuel, un orphelin placé dans une famille d’accueil. Cette famille a peut-être un peu d’affection pour lui mais, dans le besoin financièrement, elle tient surtout au salaire ainsi touché. Samuel est donc posé là, sa présence paraît exaspérante, un voile de gêne est déposé sur les conditions de la disparition de sa mère. Depesseville dépeint la cruauté de la maltraitance infantile, qu’elle soit physique mais aussi psychologique, lors qu’on parle du garçon à la troisième personne en sa présence.

On évoquait plus haut la tension singulière qui habite Astrakan. Le cinéaste met en scène avec finesse cette tension propre à l’enfance qui marche sur des œufs – un enfant qui doit grandir auprès d’adultes fous tandis que ceux-ci passent leur temps à convaincre que tous les maux viennent de lui. Astrakan rappelle ainsi la sensibilité de La Peur, petit chasseur ou Le Dernier des fous de Laurent Achard. On pense également au trouble vénéneux qui traverse le premier Jean-Claude Brisseau, Un jeu brutal, à qui Depesseville emprunte d’ailleurs une actrice : Lisa Hérédia, visage familier de Brisseau mais aussi de Rohmer.

La caméra, proche ou lointaine, est toujours à la bonne distance pour filmer cette histoire où tout est toujours un peu triste. Le grain de l’image apporte une chaleur mais pas un réconfort. Les phares rouges de l’autobus qui maquillent la neige de sang agissent comme un révélateur. C’est la violence derrière le décor bucolique, la menace au sein de la famille, ce qui se cache derrière les bonnes prières. Le dénouement, qui pourrait être pompier, parachève la précieuse bizarrerie de ce récit. On a le sentiment en voyant Astrakan d’assister à une grande révélation.

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par Nicolas Bardot

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