Critique : Les Magnétiques

Une petite ville de province au début des années 80. Philippe vit dans l’ombre de son frère, Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre la radio pirate, le garage du père et la menace du service militaire, ils ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.

Les Magnétiques
France, 2021
De Vincent Maël Cardona

Durée : 1h38

Sortie : 17/11/2021

Note :

LES MAGNÉTIQUES SONT DANS L’AIR DU TEMPS

Printemps 81 : sur un vieux téléviseur, le visage de François Mitterrand, nouveau Président de la République, apparaît couche par couche dans la clameur d’un bar PMU. Nous sommes à l’aube d’une décennie nouvelle, une décennie qui doit tout changer. On croit voir venir le récit d’apprentissage de Vincent Maël Cardona qui se déroule lors d’une période-charnière. Pourtant, cette décennie ne changera probablement rien et l’émancipation dans Les Magnétiques empruntera des chemins plus inattendus.

La voix-off nous prévient : « ça a commencé juste avant les élections ». Et ça se poursuivra bien après. L’apprentissage dans Les Magnétiques n’est pas tant politique. Les grands rites initiatiques universels comme le service militaire sont surtout des moments où l’on n’apprend pas grand-chose. Le héros du premier long métrage de Cardona est un nerd taiseux, timide, et il n’a rien à faire avec les autres mâles alpha – il n’est d’ailleurs même pas capable de se faire réformer correctement. Mais ce garçon qui ne rentre pas dans les codes a son don à lui et son chemin propre, que le cinéaste dépeint avec nuances et finesse.

Sans trop en dévoiler sur l’intrigue, l’accomplissement personnel dans Les Magnétiques finit peu à peu par passer au second plan, et le sujet du film jusqu’ici suggéré prend de plus en plus de place. Oui, c’est l’histoire de Philippe, un garçon qui s’exprime mieux avec les sons et musiques d’une radio pirate qu’avec ses mots à lui. Mais c’est aussi et surtout la peinture d’un lieu abandonné, un trou où les petits matins sont d’un bleu triste. Grandir dans des territoires oubliés est un thème qu’on a pu remarquer comme assez en vogue dans la littérature française actuelle, comme dans le récent Goncourt de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux. Les Magnétiques en est en quelque sorte un cousin cinématographique.

Car si l’on s’émancipe par un talent dans le long métrage, on s’émancipe aussi en fuyant, en partant ailleurs et au plus loin. On visait l’espace dans le court métrage de Cardona Coucou-les-nuages. On vise presque aussi loin dans Les Magnétiques lorsque le héros passe d’un patelin figé au Berlin rêvé des années 80. Les années 80, parlons-en : celles-ci sont reconstituées hors des clichés et idéalisations. Les 80s ici sont plutôt marronnasses, comme sur les albums photos familiaux, et ne ressemblent guère à des pochettes d’albums de Kimera ou de Cyndi Lauper. Ce travail est remarquable (et pourtant discret), il participe à l’atmosphère visuelle réussie de ce film à la densité lugubre.

Oui l’élection est une fête, la découverte et l’écoute de nouveaux groupes aussi, mais le film est jalonné de disparitions tragiques, Bob Marley ici, Ian Curtis là, comme si ce début de décennie et le jour qui se lève étaient poursuivis par une ombre. Les Magnétiques décrit avec souffle un parcours sensible, refusant les formules automatiques – qu’il s’agisse de son intrigue sentimentale comme de son récit de désapprentissage. Une réussite et un séduisant clair-obscur.

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par Nicolas Bardot

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