Festival New Directors/New Films | Entretien avec María Silvia Esteve

The Spiral de l’Argentine María Silvia Esteve est une expérience sans pareille. Dans ce court métrage, la cinéaste nous invite à entrer dans une spirale hypnotique, un labyrinthe de crise d’angoisse en forme d’hallucination psychédélique. Cette odyssée intime, dévoilée à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, est au programme cette semaine du Festival New Directors/New Films. María Silvia Esteve est notre invitée.


Quel a été le point de départ de The Spiral ?

Il y a deux ans, nous nous sommes disputées avec une amie. Emma s’est renfermée sur elle-même et nous avons cessé de nous parler. Je savais qu’elle retournait en Suède, et moi en Argentine, et qu’il y avait une chance que nous ne nous revoyions plus. Mais bien que j’aie essayé de lui écrire plusieurs fois, je n’ai jamais réussi à lui envoyer aucun de mes messages. Je sentais que les mots n’étaient pas assez bons. Alors un jour, j’ai pris des audios WhatsApp qu’elle m’avait envoyés, et je les ai intégrés dans une scène nue, sans rien d’autre.

J’ai commencé à monter The Spiral à partir de quelque chose d’aussi quotidien qu’un audio WhatsApp, retraçant les spirales dans lesquelles Emma s’est plongée lorsqu’elle a eu ses crises d’anxiété. J’avais besoin que mon amie sache qu’elle n’était pas seule, que je pouvais la comprendre. Mais surtout, qu’il faut parfois démêler ce qui fait mal pour le transformer en autre chose.



Comment avez-vous abordé le traitement visuel d’une film aussi mystérieux et hypnotique ?

Je savais que je voulais travailler ces archives de telle sorte qu’elles ne ressemblent pas à des archives, et qu’elles puissent parfaitement fusionner avec des animations 2D générées à l’aide de mon ordinateur, ou dessinées à la main image par image. J’adore intervenir sur le matériau, travailler avec des calques (il y a un plan dans The Spiral que j’ai composé avec 251 calques de vidéo) comme si je peignais avec une vidéo préexistante. Je voulais créer un film intégralement avec cette technique et ce à partir de rien .

Il était également très important que The Spiral reflète un aspect de la personnalité d’Emma, mon amie et protagoniste du film. Elle est DJ, illustratrice, tatoueuse, elle conçoit et porte ses propres tenues à partir de vêtements vintage. Son style est edgy et éclectique, lumineux et sombre, fortement influencé par les années 80.

Tous ces éléments devaient coexister dans un film qui se veut être un voyage psychédélique, une plongée dans l’angoisse vécue par quelqu’un qui traverse une crise d’anxiété. Et cette plongée devait donner l’impression de tomber dans une spirale, un trajet hypnotisant vers le cœur de tout cela: « chez soi », la solitude et le chagrin d’enfance.



Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre utilisation de la voix-off et des différentes sources pour les voix entendues dans The Spiral ?

Je déteste absolument les « têtes parlantes ». Je préfère entendre la texture et la personnalité d’une voix, ressentir le vide et la beauté d’une intimité partagée avec un personnage qui ne peut pas être vu. Ainsi, dans The Spiral, un audio Whatsapp devait avoir pour fonction de déclencher un monde intérieur très complexe. La voix de la protagoniste devait refléter ses propres contradictions, ses pensées se déplaçant d’avant en arrière, s’empilant les unes sur les autres, se transformant en un vide d’angoisse. Comme si vous ouvriez un robinet. En même temps, je voulais travailler le reste des voix dans le film comme si elles pouvaient émerger directement du subconscient de la protagoniste, d’une absence d’espace dans sa tête.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

C’est difficile de répondre à cette question mais je peux vous donner quelques noms. Je dirais Wong Kar-Wai et Naomi Kawase, pour les cinéastes contemporains. Et bien sûr le grand Stanley Kubrick et David Lynch.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Au début de l’année, j’ai vu Le Quattro volte. C’était la première fois que je regardais un film de Michelangelo Frammartino. Je ne peux pas dire que c’est un nouveau talent, parce que c’est déjà un cinéaste de renom, mais au moins, pour moi, c’était un nouveau talent. J’avais entendu parler de lui plusieurs fois, oui, mais rien ne m’avait préparée à ce que j’ai vu. J’ai tout de suite été hypnotisée par son regard, sa façon pure et belle de capturer la vie et de la laisser respirer à travers ses peintures cinématographiques.

En mars de cette année, j’ai été sélectionné à la Locarno Spring Academy, où il était tuteur, et j’ai eu la chance incroyable de filmer avec ses conseils. Il y a vraiment dans ses yeux l’émerveillement et l’innocence d’un enfant, son âme est ouverte aux surprises du monde. Comme un haïku en mouvement, le cinéma est sa façon de se connecter à quelque chose de plus profond et d’extrêmement beau, métaphysique. Il y a tellement de choses stimulantes dans son obsédante imagerie, sa construction élégante du son, dans sa narration qui n’a pas besoin de dialogues. Et il n’en a pas besoin car Frammartino est un peintre dont la précision est chirurgicale.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 mai 2022. Un grand merci à Laura Mara Tablón.

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