Festival Côté Court | Entretien avec Juliette Saint-Sardos

Super Nova raconte l’histoire de Sasha, une jeune femme qui, lorsqu’elle marche dans les rues de Marseille, est confrontée aux regards insistants des hommes sur son chemin. S’il raconte une oppression masculine intrusive, le film compose également un chaleureux récit d’émancipation en même temps que le portrait solaire et sensuel d’un lieu. Juliette Saint-Sardos fait preuve d’un talent très prometteur avec ce court métrage en compétition au Festival Côté Court. Elle est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Super Nova ?

Je venais de quitter mon poste de chargée de communication pour me lancer dans la réalisation. La pandémie est tombée, ralentissant tous les projets et commissions. J’ai ressenti l’urgence de monter un projet sauvage, rapide, avec mes économies. J’ai alors appelé une amie rencontrée à l’INA, Jeanne Prouteau, pour lui proposer de s’occuper de la production du film. Il y a eu une envie commune de se lancer, de faire quelque chose en indépendantes. Nous n’avions pas le pied dans le système de production classique et on a voulu voir ce qui était possible de faire sans attendre.

Le point de départ était très simple : je voulais tester le 16mm, avec un scénario minimaliste au service de la ville de Marseille. Je cherchais un paysage de ville ancienne et portuaire, parce que j’étais tombée amoureuse de Naples. Ce sont deux villes cousines, dans l’histoire comme la lumière. Nous sommes alors parties en repérages avec Jeanne et l’assistante réalisatrice, et le film s’est vraiment construit dans les décors. Tout était très organique, nous étions libres.

Comment avez-vous abordé la question du regard qui est centrale dans votre film – qu’il s’agisse du regard porté sur Sasha ou de celui que Sasha porte sur son environnement oppressant ?

Je suis une fille qui vit en ville et qui aime bien s’habiller sexy. Surtout en été. J’aime les vêtements moulants, les robes, les bijoux, les frottements des tissus, je suis assez coquette. Forcément, ça rentre en dualité avec les regards et les apostrophes qu’on peut rencontrer quand on se balade. C’est une espèce de valse avec la ville. On en a longuement discuté avec Lisa Bouteldja, et j’ai eu l’impression que nous étions complètement en harmonie sur la question. Je cherchais à retranscrire l’aspect sensoriel de ce qui peut nous traverser dans ces moments. Parce qu’en même temps, ça fait partie de notre décor mental, ce n’est pas un événement.

Quand je filme Sasha/Lisa qui marche, son périmètre de conscience va du mur qu’elle longe jusqu’aux yeux qui glissent et qui collent. Tout est mélangé. C’est un sujet et un non-sujet. Quand on est une femme, les regards portés sur nous sont une réalité quotidienne, banale, c’est un fond sonore complètement intégré. Le personnage de Sasha est à un moment vulnérable de sa vie, donc forcément elle le ressent assez fort, mais ce qui l’agresse c’est autant les regards que les bruits, les couleurs, tout la submerge. Tout prend un relief inconfortable et intense.

Vous laissez une large place au décor, à l’atmosphère, à la lumière, aux respirations. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous souhaitiez filmer ce qui entoure Sasha ?

Sasha vit 24h d’un basculement intérieur. C’est un de ces moments de décrochage où vous acceptez enfin de passer à autre chose, à une autre partie de votre vie, que vous lâchez prise. C’est un moment de flottement et de désintégration. Dans ce tropisme il y a quelque chose de mélancolique, et qui relève presque du deuil. Pour filmer la dissociation il fallait rendre Sasha très incarnée, mais aussi détachée de son environnement. Comme si elle était en surimpression. Le monde devait tourner autour d’elle. Il fallait rendre cet aspect un peu éthéré et flottant pour faire sentir la densité de sa conscience.

On a donc alterné entre les longues et courtes focales de façon un peu abrupte pour rendre ce va-et-vient entre le décor et son intériorité. C’était assez sportif de filmer en ville comme ça, en prenant le parti de garder une grande profondeur de champ. C’est elle qui « écrit » le décor pour le spectateur. Je voulais vraiment nous faire sentir dans sa peau, au rythme des battements de son cœur. Par exemple, je voulais que lorsqu’elle revient de la plage, nous ressentions cette sensation de sortie d’eau, de peau rincée par le sel. C’est un pacte sensuel avec le spectateur.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je crois que tous ceux qui nourrissent mes projets ont quelque chose à voir avec le son. Il va y avoir ceux qui « dégueulent » des mots, comme Eustache, Kechiche, Desplechin. Ceux qui ont un lien très fort avec la musique, comme Lynch, Bonello, Carax ou Visconti. Ceux qui ont une conscience spirituelle et musicale du monde, comme Pasolini ou Apichatpong Weerasethakul.

Des personnalités me touchent aussi, comme la radicalité et la pureté avec laquelle Yann Gonzalez défend la pellicule et vit le cinéma dans sa chair et dans ses rêves. Mais c’est une question horrible parce que je voudrais parler de Clouzot, Sautet, Fellini, Pialat, Mankiewicz, Melville, De Sica, Friedkin, Antonioni, Varda, Rossellini, Bergman, Lumet… qui, malheureusement pour l’esprit de synthèse, ont pour seul point commun d’être morts. Ça fait un peu « cinémathèque » comme liste mais j’ai une cinéphilie très classique…

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Comme depuis que je connais ce festival, c’est aux Rencontres du moyen métrage de Brive que j’ai les plus belles sensations de liberté. C’est un format complètement hors normes, qui échappe au formatage. Et les programmateurs font un travail monstrueux pour donner un panorama dingue et radical. Même si on adhère pas à tout, on est toujours bousculé, et ce sont souvent les films dont je me souviens le plus en fin d’année…


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 juin 2022. Un grand merci à Vanessa Fröchen.

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