Festival Côté Court | Entretien avec Léahn Vivier-Chapas

C’est ce qui s’appelle un film hors normes : le court métrage La Fée des roberts raconte, en parallèle, l’histoire d’une fillette rêvant d’une féminité ultra-hyperbolique tandis qu’un fauve est dressé pour un spectacle de cirque. Dans cette pépite dévoilée à la Mostra de Venise, la Française Léahn Vivier-Chapas explore en un même geste l’apprentissage d’une féminité jusqu’à l’absurde et la barbarie de l’exploitation animale. Deux violences qui s’expriment à travers des couleurs chatoyantes, dans un court qui fait écarquiller les yeux. Sélectionnée cette semaine au Festival Côté Court, Léahn Vivier-Chapas est notre invitée.


Quel a été le point de départ de La Fée des roberts ?

L’idée originelle m’est venue suite à la découverte du documentaire Tyke Elephant Outlaw et sa version courte Tyke The Final Show (histoire vraie d’un éléphant de cirque ayant attaqué et tué son dresseur avant de semer la panique dans les rues d’Honolulu en 1994). Pour moi, l’esclavage des animaux repose sur les mêmes mécanismes que l’accès à la féminité stéréotypée, et les contradictions qu’elle révèle, la construction de l’image de soi, ce sont des sujets que j’aime remuer. L’idée de féminité, d’une féminité dont on peut disposer et qu’on peut façonner à convenance, comme de la puissance des animaux mise en scène pour divertir les hommes, fabriquent des images sensationnelles, hypnotiques, mais jamais sans violence.

Qu’est-ce qui vous a décidée à utiliser cette technique d’animation pour raconter cette histoire en particulier ?

Les décors sont en 3D pour la plupart et les animations dessinées en 2D, c’est une combinaison de techniques que je mets au point depuis mes études, qui me permet de me focaliser sur le dessin de mes personnages avant tout.

Il y a dans votre film une tension très étonnante et stimulante entre le visuel ultra-chatoyant et la dimension presque monstrueuse du sujet. Est-ce que c’est un contraste qui vous intéressait durant la confection de ce film ?

Bien sûr, il rend compte des contradictions qui sont abordées dans le film. Avec ce dompteur qui veut faire un spectacle magique pour les enfants, qui ne repose en fait que sur de la violence maquillée, et de l’autre côté, ces femmes qui à force de vouloir être les plus belles et dignes d’attention deviennent des clowns tristes, aux proportions inattendues. J’ai beaucoup de tendresse pour mes personnages qui tous à leur manière cherchent à plaire. Chacun tente de survivre.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le lien que vous établissez entre la violence de l’exploitation animale et celle de l’éducation à la féminité ?

La féminité comme leçon à apprendre par des enfants qui la reproduisent pour satisfaire nos attentes, autant que la violence de l’asservissement d’un fauve faite danseuse dans un cirque, parlent des dérives du spectacle. De ce que nous sommes capables de produire pour nous satisfaire (par nous je veux dire « les consommateurs, les adultes, les spectateurs »). Ces deux violences prennent racine dans le désir de mettre à disposition les femmes, leurs corps et leurs images ainsi que les ressources de la nature, les animaux, leur chair, les espaces.

Il est déjà question de seins extraordinaires dans votre court Boobzilla change de pneus. Qu’est-ce qui vous inspire dans ce motif assez inattendu ?

Il illustre les problématiques de représentation que j’aborde dans mes films, il en est la synthèse. S’augmenter et s’améliorer par différent procédés pour présenter au monde une meilleur image de soi, est-ce toujours soi ? Ou est-ce une armure ? Qui par ses dimensions « extraordinaires » capture l’attention des autres tout en nous rassurant, parce qu’elle nous met aussi à distance (physiquement) des autres.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je suis très inspiré par l’animation japonaise, notamment le travail de Takeshi Koike pour le travail des couleurs et des contrastes. Après, ce que j’aime en cinéma n’est pas nécessairement ce qui infuse mes films, mais me nourrit forcément. J’aime le travail de Naomi Kawase, Pema Tseden, Sebastien Lifshitz.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

Je n’ai pas eu le temps de voir beaucoup de choses ces derniers temps, car je finissais mon film. Mais les dernières découvertes qui m’ont enthousiasmée sont les séries Veneno et I May Destroy You.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 septembre 2021. Un grand merci à Luce Grosjean.

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