Entretien avec Jimena Blanco

L’invitée de notre Lundi Découverte est l’Argentine Jimena Blanco. Son premier film, Paisaje, a fait sa première française la semaine passée au Festival de la Roche-sur-Yon. A partir de figures connues du récit d’apprentissage adolescent, la cinéaste insuffle par sa mise en scène une vraie sensibilité dans cette nuit pas comme les autres que va traverser un groupe d’amies…

 

Quel a été le point de départ de Paisaje ?

Le film est né d’une anecdote, quelque chose qui est arrivé à une amie à moi. Je me suis toujours demandé ce qui se passerait si mes amies et moi nous étions retrouvées dans pareille situation. L’idée s’est enrichie, les personnages ont évolué, inspirés par les femmes que j’ai côtoyées dans ma vie.

L’idée était avant tout de se confronter à une histoire d’adolescentes, comme un besoin de raconter d’un point de vue féminin ce qui peut nous arriver, ce qui nous est arrivé ou ce qui nous arrive à toutes. La semaine dernière lors d’un échange avec le public à Seminci, je disais que j’avais fait le film que je voulais voir quand j’étais ado. Parce que quand j’avais cet âge, plus de 90% des films était réalisés par des hommes, et en tant qu’adolescente je ne me sentais jamais représentée, je ne trouvais pas de film qui me parle. J’ai réalisé je pense le film que je me devais de faire, et plus important encore, que je devais à mes amies et aux autres femmes. Je crois qu’au plus profond de moi, c’était ça le point de départ de Paisaje.

Le début de Paisaje est très intrigant. Il faut un certain temps avant qu’on ne voie vraiment les visages des protagonistes. Vous vous concentrez d’abord sur les lieux, les détails, des gros plans sur les héroïnes, sur leurs cheveux. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?

Je voulais créer une atmosphère de sieste estivale, avec cette chaleur, cette luminosité. Je pense qu’il y a quelque chose de très sensuel dans cette atmosphère, ce dont les personnages n’ont pas encore conscience. Elles sont en train de devenir des femmes, et ce moment où l’on n’est plus une petite fille mais pas encore une femme m’attire particulièrement. Sur les corps qui changent, sur l’identité qui évolue… J’ai essayé de mettre un peu de cela au début du film, comme une introduction aux personnages, à l’endroit d’où ils viennent qui, sans spoiler, est assez différent de l’endroit où ils vont.

J’ai décidé d’aborder les personnages par des détails. Des parties de leurs corps adolescents, de bouts de ce qu’elles sont, des détails sur ce qu’elles font, comment elles passent leur temps quand elles sont seules et que personne ne les regarde, sur leurs mouvements. Je souhaitais inviter les spectateurs à compléter ce qu’ils voient avec les images qu’ils ont en tête. Des prises courtes stimulent l’imagination, elles vous questionnent, « Qui est cette personne, que fait-elle ». J’adore quand un film provoque cela chez moi, lorsqu’il me fait penser, imaginer, quand je dois compléter une image ou une action par moi-même. J’ai l’impression de faire partie du film. Et c’est ce que j’ai tenté de faire avec Paisaje : j’ai essayé de faire en sorte que le spectateur fasse partie de l’histoire, qu’il soit un membre supplémentaire du groupe d’amies. On voit rarement les personnages en entier dans le film, c’est une décision que j’ai prise dès le départ quand les premières images du film me sont venues à l’esprit.

Comment avez-vous travaillé avec vos jeunes actrices ? Avez-vous laissé de la place à l’improvisation ?

Avant tout, je recommande chaudement de travailler avec des adolescents : ils vous ramènent à la vie. En ce qui concerne le travail avec les actrices, je voulais mettre l’accent sur leur relation, sur le lien entre elles. On a procédé un peu à l’envers. Nous avons fait une première lecture du script puis nous l’avons mis de côté pour travailler librement sur les personnages. Nous avons fait les choses ensemble comme une équipe, un groupe d’amies. Chacune des filles a inventé la vie de son personnage, a trouvé la raison pour laquelle elle était amie avec les autres, elles ont construit un monde à partir de rien. Puis nous avons ajouté des dialogues à cette amitié et cela a semblé si naturel, si réel. Je leur ai donné une totale liberté de mouvements, parce que Paisaje repose principalement sur le langage corporel, avec des dialogues qui s’y adaptent.

Quels sont vos réalisateurs favoris, les réalisateurs qui vous inspirent ?

C’est une question difficile ! Sans ordre particulier : Andrea Arnold, Denis Villeneuve, Spike Jonze, Anahí Berneri, Xavier Dolan… Voilà des réalisateurs dont j’ai aimé la plupart des films. J’aime aussi les films individuellement, plus que la filmographie intégrale d’un cinéaste.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf au cinéma, de découvrir un nouveau talent ?

J’aime beaucoup regarder des courts métrages, j’y trouve généralement des idées plus fraiches et nouvelles que dans les longs métrages récemment. Je pense que cela vient du fait qu’un réalisateur de court métrage se sent plus libre dans sa création qu’un réalisateur de long métrage. La pression quand on réalise un film peut parfois être très forte. Je recommanderais les courts métrages Lunar-Orbit Rendezvous de Mélanie Charbonneau, Cadavre exquis de Stéphanie Lansaque et François Leroy et Fry Day de Laura Moss.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 27 octobre 2018. Un grand merci à Lucía Chávarri.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

Partagez cet article