Busan 2020 | Entretien avec Heidi Ewing

Primé à Sundance en début d’année, I Carry You With Me vient de faire sa première française au Festival de La Roche-sur-Yon. Le beau long métrage de l’Américaine Heidi Ewing est présenté cette semaine au Festival de Busan. Celui-ci raconte de manière émouvante et audacieuse le parcours de deux hommes mexicains qui tombent amoureux et cherchent une vie meilleure. Se trouve-t-elle de l’autre côté de la frontière américaine ? Découverte notamment avec le documentaire Jesus Camp, Heidi Ewing s’attaque à la fiction et nous présente ce long métrage.


C’est la première fois que vous réalisez un long métrage qui ne soit pas strictement un documentaire. Qu’est-ce que cela a changé dans votre manière de travailler ?

C’était un plaisir de pouvoir créer tout un monde à partir de rien au lieu d’avoir à réagir à ce qui m’est donné. Le casting, les repérages, les décors, le temps consacré à la préparation et la conception des plans – c’était des cadeaux pour moi. Dans le documentaire, nous devons souvent réagir et vivre dans la peur de manquer quelque chose. Là c’était différent et j’ai essayé d’en tirer le meilleur parti.

Aviez-vous dès le départ en tête la structure particulière du film, avec ce net changement de registre en cours de narration ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette fascinante construction ? [cette réponse dévoile quelques éléments de l’histoire de I Carry You With Me. Si vous n’avez pas encore vu le film, nous vous conseillons de passer à la question suivante]

Je ne pouvais pas trouver de justification pour remplacer les véritables Ivan et Gerardo plus âgés par des acteurs. Ce que vous voyez dans la dernière partie du film, ce sont des prises réelles non-scénarisées de leur quotidien, et je ne voulais créer aucun artifice ici. L’aspect brut et nu de ce qu’on voit est ce que nous recherchions. Il y a des conséquences et des choix impossibles qui vont avec le fait de partir loin de chez soi, et ils l’expriment superbement dans ces scènes-là. J’ai donc pris la décision de faire quelque chose d’assez peu conventionnel pour servir l’histoire. Je suis heureuse que cela vous ait plu !

Comment vous êtes-vous inspirée des vies réelles de vos protagonistes et comment avez-vous travaillé sur le scénario ? Avez-vous collaboré avec Ivan et Gerardo sur l’écriture ?

Je suis amie avec les vrais Ivan et Gerardo depuis de nombreuses années, mais ils ne m’avaient encore jamais raconté l’intégralité de leur histoire. En 2012, ils sont venus à Sundance pour voir mon documentaire Detropia. Une nuit, ils m’ont tout dit. J’étais si émue. J’ai rapidement commencé à les filmer dans leur quotidien. J’ai fait un certain nombre d’interviews avec eux et j’ai basé la majorité de l’histoire sur leurs souvenirs. Ils n’ont pas travaillé sur le script à proprement parler et ne l’ont pas lu avant que je commence à tourner. Ils m’ont confié leur histoire puis m’ont fait confiance.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez travaillé avec votre directeur de la photographie Juan Pablo Ramirez sur l’esthétique de I Carry You With Me ?

Juan Pablo est un artiste incroyable. On a constitué des listes autour du film pendant des mois sur Skype, scène après scène, avant d’entamer la pré-production. Nous étions d’accord pour que l’émotion passe avant tout, toujours. Les objectifs, les couleurs, la composition du cadre étaient tous choisis en fonction de ce que l’on ressent pour les personnages, de la manière la plus intime. Nous avons principalement privilégié une caméra à l’épaule dont le style n’anticiperait pas l’action, ce qui offre une approche plus fraiche et urgente des différentes scènes. Nous nous sommes retrouvés avec des tonalités très vertes et oranges, et nous avons travaillé là-dessus. C’était une combinaison de préparation et d’anticipation. Et nous sommes très fiers de ce à quoi le film ressemble !

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Mes héros sont Terrence Malick, Federico Fellini, Agnès Varda et Paolo Sorrentino. Ces artistes ont un style visuel tellement riche, avec une part de fantaisie, et n’ont pas peur d’utiliser la voix intérieure de leurs personnages, souvent à travers une voix-off émouvante.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir quelque chose d’inédit, un nouveau talent ?

C’est drôle parce qu’on « découvre » tous des gens à notre propre façon, même quand ces gens ont déjà été « découverts » par d’autres. L’année dernière, avant les effets de la pandémie, j’ai vu Katrina Lenk a Broadway qui jouait Dina dans la comédie musicale The Band’s Visit. Elle a une présence telle qu’on est obligé de la regarder. Même du balcon, j’ai eu le sentiment d’avoir pour elle une amitié très intime. Et quand elle commence à chanter, ce sentiment est encore plus fort. Quel naturel ! Voir ce spectacle m’a donné envie d’en savoir davantage, et j’ai appris bien sûr que c’était une adaptation d’un film que je n’ai pas vu (honte sur moi, en plus il a reçu un prix à Cannes en 2007 !). J’ai adoré à la fois découvrir ce show, son talent et le film. Une révélation !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot et Gregory Coutaut le 21 octobre 2020. Un grand merci à Christina Gonzalez, Maria Clemente et Sarah Coker.

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