Entretien avec Florent Gouëlou

Florent Gouëlou fait partie des lauréat.e.s 2020 du Prix à la Création de la Fondation Gan qui viennent d’être dévoilé.e.s. Ces prix soutiennent des autrices et auteurs dans le développement de leur premier ou second long métrage. Florent Gouëlou prépare son premier long, intitulé Trois nuits par semaine. Ce film raconte l’histoire d’un jeune homme, Baptiste, qui fait la rencontre de Cookie Kunty, drag queen de la nuit parisienne. Il va entamer une relation avec Quentin, le garçon derrière la drag queen… Nous avions déjà interviewé Florent à travers sa drag persona Javel Habibi, puis en tant que cinéaste pour son court Beauty Boys. Il nous présente aujourd’hui ce projet qu’on suivra de près !


Bonjour le Polyester ! Tout d’abord je suis archi-fier de faire là ma troisième apparition dans vos pages ! Attention, maintenant je m’installe…

Comment est né le projet de Trois nuits par semaine ?

J’ai découvert le milieu drag il y a 4 ans, en allant à la « Jeudi Barré », une soirée hebdomadaire animée à Paris par Cookie Kunty. Je n’envisageais par encore de devenir drag queen moi-même, mais j’ai été émerveillé par leur présence sur scène, et cet art total, qui croise la performance, la danse et la mode. J’ai été aussi frappé par la liberté et l’insolence des queens. Dans Trois Nuits par semaine, on suit Baptiste, un garçon qui tombe amoureux d’une queen, et qui plonge à la découverte du monde du drag. Il découvre les codes et les coulisses de ce milieu, mais aussi le prix à payer de cette liberté apparente.

Comme je te le disais dans notre entretien sur Beauty Boys, pour moi un film c’est toujours le croisement de deux ou trois idées qui font des étincelles. Là au cœur du film, il y a bien sûr le drag, mais aussi une envie de parler de la violence du monde du travail, par contraste, dans le quotidien de Baptiste.

Et quand j’ai commencé à écrire, je venais de passer un an à filmer une association qui lutte pour la santé sexuelle (Aremedia) sur le territoire Nord Parisien. La phase de développement avec Yukunkun Productions m’a permis de trouver comment tisser ces trois noyaux : le drag, le travail, la santé sexuelle. L’envie au final c’est de proposer un film d’amour avec un ancrage social, dans un Paris où cohabitent des populations très différentes.

C’est la quatrième fois que tu diriges Cookie Kunty après Un homme mon fils, Beauty Boys et Premier amour. Dans quelle mesure t’a t-elle inspiré pour ce long métrage ?

Au fil de nos collaborations, j’ai eu plaisir à proposer à Cookie des partitions plus complexes, et j’ai vu aussi Romain Eck (Cookie en civil) élargir sa palette, comme interprète. Dans Un homme mon fils, et Beauty Boys, ses rôles étaient assez proches de son personnage : une queen chaleureuse et maternelle qui venait en aide aux héros.

Dans Premier amour, elle devient elle-même l’un des personnages principaux : une queen qui vit une rupture amoureuse en plein milieu du show drag qu’elle doit animer. J’ai beaucoup aimé la façon dont Romain s’est prêté au jeu de la coulisse de son personnage : dans le film on sent vraiment la personne sous la queen, il a réussi à transmettre toute la fragilité du garçon pris dans un dilemme entre animer sa soirée et sauver son couple !

Dans Trois nuits par semaine, toutes les queens interprètent des personnages écrits sur mesure. Cookie garde quelque chose de la queen qu’on connaît : glamour, généreuse, chaleureuse et piquante. Mais j’y ajoute de la fiction, pour que tout ça compose une histoire d’amour pleine de surprises.

En quoi ton expérience de drag t’a t-elle servi pour écrire Trois nuits par semaine ?

D’abord parce que je sais tout ce qui se passe en amont d’un show drag ! Combien ça coûte, économiquement, émotionnellement, en travail ; et puis comment on le vit de l’intérieur. Le drag c’est libérateur, mais ça fait aussi très mal ! Un des enjeux du film sera d’inviter les spectateurs dans le secret des coulisses, et puis de montrer ce que ça signifie de cohabiter avec un alter ego. C’est aussi pour ça que j’ai voulu écrire une histoire d’amour : le drag ça prend de la place dans une vie, alors comment on fait quand on tombe amoureux de quelqu’un qui est double ? Il y a toute une dimension documentaire au cœur du film : montrer la vie en tournée et le dévouement des queens à leur art. J’ai envie de retranscrire tout ce que ça implique de folie, de liberté, d’humour mais aussi de brutalité parfois.

Tu as travaillé sur ce scénario avec Raphaëlle Valbrune-Desplechin, peux-tu nous dire quelques mots sur cette collaboration ?

J’ai rencontré Raphaëlle à la Fémis, où elle accompagnait un atelier d’écriture de long métrage au sein du cursus des étudiants réalisateurs dont je faisais partie, en 2017. Elle a rejoint l’écriture du film après un an de développement avec Nelson Ghrénassia (le producteur du film, ndlr).

Raphaëlle m’a beaucoup encouragé à ne pas décrire des personnages qui soient hors-sol, dépourvus d’un ancrage social. Elle a beaucoup souligné la notion de combat chez les queens. J’avais eu tendance à les inscrire dans une bulle protégée, au sein d’un milieu LGBT plutôt acquis. Mais elle avait raison d’insister sur le fait que sans confrontation avec le monde extérieur, les queens n’auraient pas l’air d’être des guerrières. Elle était très vigilante au fait que tout ne soit pas facile  : « N’oublie pas que ça les rendra héroïques ».

Et puis j’ai aimé comment elle m’a épaulé aussi sur la question de la modernité dans le couple ; dans le film il est aussi question de Samia, la copine de Baptiste. Comment on raconte la fin de l’amour sans tomber dans des poncifs, ou de la petite jalousie. Comment on écrit des personnages qui vivent des choses simples, en leur donnant de l’ampleur ?

Est-ce que Trois nuits par semaine est une nouvelle façon pour toi d’aborder la question de la masculinité et de la mise en scène de soi ?

Oui parce que dans le drag, il y a pour moi cette idée qu’on peut être multiple et s’approprier différentes facettes du masculin. Je cite souvent un des acteurs du film, Mathias Houngnikpo, qui parle de « garçons qui se conjuguent au féminin ».

Baptiste, le garçon qui tombe amoureux de Cookie, sera joué par Pablo Pauly. Son personnage est un garçon hétéro, davantage dans les codes de la virilité et de la « norme » du masculin. C’est aussi quelque chose qui me plaît : faire cohabiter des garçons qui habitent leur genre différemment, et raconter une histoire d’amour imprévue entre eux. Baptiste se déplace dans un désir qui lui était encore inconnu, mais ce n’est pas ce qui fait obstacle à leur histoire d’amour. Ce qui fait problème, c’est toute la place que prend le drag dans leur vie.

On te connait en tant que drag queen sous les traits de Javel Habibi. Et en drag tu es touche-à-tout : tu fais du lipsync, tu hostes, tu fais du stand-up, même de la magie. Quel parallèle effectuerais-tu entre l’art multi-disciplinaire que peut être le drag, et la dimension multi-disciplinaire que revêt la réalisation d’un long métrage ?

J’aimerais te parler du rebond ! Performer sur scène en drag, c’est savoir improviser, arriver avec une idée forte mais savoir rebondir quand rien ne se passe comme prévu ! C’est pareil pour un réalisateur : tu arrives avec un projet, tu le réinventes avec l’équipe, puis si ça coince, parce que comme dirait Fanny Ardant, « la vie a plus d’imagination que nous », il faut trouver une meilleure idée sur le moment.

Avec l’un des deux costumiers du film, Aurélien Di Rico (également connu en drag sous le nom de Minuit DiVinyle), on rit souvent du fait que le drag contient toujours une part d’arnaque ! On se retrouve vite à faire passer une bâche de 4 mètres sur 5 pour une robe de créateur, alors qu’on vient de se la scotcher dessus juste avant de monter sur scène. Peut-être que dans la réalisation il y a un peu de ça, cette joie de l’arnaque, quand on arrive à créer de la magie avec des bouts de ficelles. Pour moi, c’est à la fois très propre au drag et au cinéma.

Comment crée t-on et comment prépare t-on un long métrage en temps de Covid ?

Déjà, en se réjouissant de mettre en scène « le monde d’avant » ! Ce sera assez joyeux de pouvoir recréer ces images de scènes qu’on ne vit plus cette année : c’est presque un film d’époque… de l’année dernière… ou un film d’anticipation de l’année prochaine.

Le paradoxe c’est que cette liberté se racontera à l’écran mais que les plateaux eux seront très respectueux des restrictions sanitaires. On travaillera masqués, les membres de l’équipe seront testés régulièrement, il y aura sans doute un responsable Covid sur le plateau… Les productions ont une vigilance accrue sur les conditions de travail de chacun.

Tu nous a auparavant parlé de ton amour pour Pedro Almodovar. Tu avais d’ailleurs organisé une soirée drag l’an passé dont le nom était un clin d’œil à l’un de ses films. Est-ce que c’est l’une des influences que tu as en tête pour la préparation de Trois nuits par semaine ?

Je garde Almodovar en tête pour le glamour et le grand mélo ; je pense aux films comme Tout sur ma mère ou Les Étreintes brisées. Des films avec quelque chose de grandiose, des couleurs flamboyantes, de la musique – du grand cinéma avec de grandes émotions. Mais Almodovar, c’est aussi une psychologie des personnages hyper poussée. On en sait toujours beaucoup dans ses films sur les personnages au second plan. Ça me nourrit beaucoup, cette idée qu’il n’y a pas de personnages fonctionnels, que chacun a sa propre histoire.

Puis je crois que la performance du drag c’est pour moi une question de traversées : c’est la traversée des genres, des esthétiques, des cultures. Filmer le drag ça permet de mettre en scène autant du réalisme social que de la comédie musicale ou du film noir. Ça autorise la mise en scène à faire des grands écarts, c’est très inspirant.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 décembre 2020. Un grand merci à Dany de Seille.

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