Festival Chéries-Chéris | Entretien avec Florent Gouëlou

Découvert avec son court primé à Clermont Ferrand Un homme mon fils, Florent Gouëlou signe avec Beauty Boys un film tendre, attachant et élégant. Son héros est un jeune homme qui décide, dans son village, de monter sur scène habillé en drag queen. Beauty Boys est à découvrir cette semaine à Chéries-Chéris. Florent Gouëlou a déjà été notre invité au Polyester, sous les traits de sa fabuleuse alter-ego Javel Habibi. C’est aujourd’hui le réalisateur qui se confie à nous !


Bonjour Le Polyester ! Je suis très heureux de vous retrouver, cette fois sous mes traits de Clark Kent ; c’est un peu un challenge, j’ai beaucoup moins de répartie quand j’ai pas mes faux cils ^^

Pour commencer, quel a été le point de départ de Beauty Boys ?

Il y en a plusieurs ! Je crois que je tricote toujours mes films à partir de deux ou trois idées, qui font boule de neige.

D’abord un ami très proche m’a beaucoup parlé de son enfance avec son frère jumeau ; lui était fan de Whitney Houston et son frère de rap, l’un en jean slim et l’autre en sportswear. Ados, ils passaient leur temps à se faire la misère mais dès que quelqu’un s’en prenait à l’un d’entre eux, l’autre le défendait sans réserve. Ça m’intéressait, cet écart de cultures au sein d’une même fratrie ; ce mélange de conflit épidermique et de loyauté absolue.

Dans le même temps, quand j’ai présenté Un homme mon fils en festivals, j’ai rencontré des jeunes de 18 ans qui venaient me dire qu’ils faisaient du drag dans leur village. En grandissant en banlieue dans les années 90, j’ai connu l’isolement et avant internet, la difficulté d’accéder à des représentations du masculin hors de la norme. Ça me touche de voir comment des jeunes aujourd’hui peuvent accéder à d’autres modèles et se réinventer au contact de communautés sur le web.

Enfin, depuis Un homme mon fils, je suis devenu Javel Habibi ; alors en creux, à travers l’expérience de queens qui débutent, le film parle aussi du frisson de ma première fois en drag. Comment sortir en talons, ça peut être pour soi une révolution.

Tu travailles comme sur ton précédent court Un homme mon fils avec le directeur de la photographie Vadim Alsayed. Comment avez-vous envisagé ensemble l’approche esthétique pour raconter l’histoire de Beauty Boys ?

Ce que j’aime beaucoup dans le travail de Vadim Alsayed, c’est sa faculté à épouser complètement l’énergie des acteurs. C’est toujours très beau de le regarder les filmer parce qu’il danse autour d’eux. Il y avait donc l’envie dans le film de mélanger une énergie de caméra à l’épaule au plus près des comédiens (on les suit qui courent en drag dans la rue, on est sur scène avec eux quand ils performent), et de le croiser avec des figures de cinéma plus classiques ; des travellings avant spectaculaires pour filmer l’arrivée de Cookie au loin, telle une blonde hitchcockienne, par exemple.

Et puis Vadim travaille la lumière de façon très élégante ; il fait partie de ces chef ops qui estiment que faire du réaliste c’est pas forcément faire du tristounet. On a été attentifs à proposer des ambiances soignées, par exemple essayer d’avoir un soleil rasant quand les personnages se préparent dans le champ, choisir des décors très photogéniques ; on a construit comme un quotidien un peu stylisé.

Et puis après Un homme mon fils, on était attentifs à mettre en valeur les maquillages drag en toutes situations (dans une ruelle, autour d’un feu de camp…). C’est un vrai challenge en lumière de bien éclairer des queens ! Le chef électricien a passé pas mal de temps à promener une sorte de boule chinoise au bout d’une tige métallique au-dessus des visages des queens pour être sûr qu’elles soient bien mises en lumière.

Beauty Boys est une nouvelle collaboration avec Cookie Kunty – et on sent que tu as eu envie de la mettre en valeur (je pense notamment à son arrivée dans le film). Peux-tu nous en dire davantage sur votre collaboration ?

Oui ! L’arrivée de Cookie, c’est l’apparition du requin-jaguar à la fin de La Vie aquatique, de Wes Anderson ! C’est aussi un emprunt aux travellings avant chez Spielberg : les personnages observent hors-champ quelque chose qui les saisit, et la caméra s’approche lentement de leurs visages fascinés. Je voulais me permettre un pas de côté dans la narration, pour marquer que quelque chose (ou quelqu’un) hors du commun faisait son apparition dans le film. En préparation, je disais à tout le monde : « Cette scène c’est la licorne qui apparaît à l’orée de la Forêt interdite ! ». Il fallait que ce soit magique.

Depuis trois films, on explore avec Cookie différentes fictions autour de son personnage. Dans Un homme mon fils, elle est la médiatrice pleine de bagout qui recrée du dialogue entre le père et son fils. Ici elle joue un peu les bonnes fées, c’est une force positive initiatrice. Et au fil de nos collaborations, on explore des partitions de plus en plus complexes. Dans Premier amour qu’on a tourné en janvier dernier à la Jeudi Barré (sa soirée à Paris), elle joue une drag queen en pleine rupture amoureuse, au beau milieu d’une soirée drag. On accède à sa fragilité sous son personnage, au garçon sous la queen. C’est très beau pour moi de voir comment Cookie joue le jeu des fictions que je lui écris.

Là je développe mon premier long métrage avec Yukunkun Productions, le producteur de Beauty Boys. L’histoire d’un garçon qui tombe amoureux d’une queen (Cookie, toujours !), et qui découvre tout l’envers du décor du monde du drag. Le film s’appelle Trois Nuits par semaine. Cette fois on y verra Cookie en drag et aussi sans maquillage !

La question de la masculinité et de sa représentation me semblent centrales dans Un homme mon fils comme dans Beauty Boys. Mais plus précisément, tu parles du regard posé sur cette masculinité : celui du père sur son fils, du grand frère sur son petit frère. Est-ce une question qui t’est chère ?

Oui tout à fait ! Je suis toujours intéressé par les rapports entre les personnages : par exemple, un homme hétérosexuel de 70 ans en présence de son fils queer de 30 ans. La fiction joue toujours à mettre en perspective des personnages aux positions radicalement opposées. Ici c’est le jeune rappeur de 18 ans, dont le petit frère fait du drag.

J’essaie de leur donner raison à tous ; de faire en sorte qu’on comprenne que chacun se trouve à sa propre manière, ou se débat avec ses propres limites. Et en effet, ça me touche de voir comment chacun regarde l’autre.

Dans Beauty Boys, on croit longtemps que le grand frère a honte de son petit frère, mais dans le fond, c’est surtout qu’il s’inquiète pour lui.

Quels sont tes cinéastes favoris et/ou ceux qui t’inspirent ?

Inconditionnellement, Almodovar ! Je trouve qu’il y a tout, la proposition esthétique, l’humour, la finesse psychologique, et la cocasserie outrancière d’intrigues invraisemblables, mais qu’il arrive à nous vendre ! Je suis toujours ému, surpris, ou bien j’en sors grandi (la modernité des rapports dans Tout sur ma mère). Il aime tous ses personnages, et il n’a pas peur des intrigues secondaires, ce qui me passionne toujours ; que tous les personnages du film aient une histoire à eux, même si on n’en verra qu’une partie.

Et en France les femmes réalisatrices, comme Maïwenn, Emmanuelle Bercot, Valeria Bruni Tedeschi. Elles font un cinéma des acteurs ; les interprètes sont au centre du dispositif. Ça m’inspire beaucoup, notamment sur la façon de convoquer du réel dans la fiction ; s’appuyer sur la vérité des comédiens en leur écrivant des rôles sur mesure dont ils se saisissent. C’est ce que je fais avec Cookie depuis trois films ; chaque fois elle accepte de mettre son drag au service d’une histoire, c’est en même temps un peu elle, et complètement un personnage.

Quelle est la dernière fois que tu as eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Après Parasite, j’ai découvert Mother de Bong Joon-Ho. Le film s’ouvre sur une séquence abstraite de danse du personnage principal ; une vieille dame seule dans un champ. Puis on bascule dans un récit réaliste, mais on a fait sa connaissance par un tableau symbolique, ça m’a beaucoup ému ! C’est la première minute, et on l’aime déjà.

J’ai adoré redécouvrir Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin. C’était splendide de lui voir cette stature, cette ampleur, simple, je ne l’avais pas encore vu comme ça et c’était beau de se dire que cet acteur qu’on connaît avait tout ça en lui mais qu’on n’avait pas encore eu l’occasion de le voir.

Ça m’a fait le même effet avec la série Les Sauvages, où on le retrouve en Président de la République. Le casting est impeccable, la réalisation aussi ; Rebecca Zlotowski a marqué un grand coup : une série politique française où on croit à tout, sur l’élection en France d’un Président fils d’immigrés algériens. Ça travaille toutes les questions d’actualité, ça nous raconte la France au présent et au passé, et ça pour moi ça n’avait pas encore été fait.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 09 juin 2020.

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